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et desséchant qui entrait à travers le moustiquaire de la porte.

Tout le quartier semblait accablé par une torpeur invincible : les volets étaient clos dans les murailles de brique surchauffées par le soleil, les rues étaient désertes et n’étaient animées que par les tourbillons d’une poussière impalpable. On se serait cru dans le désert et pourtant on était au cœur d’une grande ville.

Plus de ces prés où passent en chantant les laboureurs au pas allègre, plus de jeunes filles joyeuses et de jeunes gens aux élégants costumes blancs courant sur les routes en faisant retentir jusqu’à la ferme les éclats de leur rire insouciant : la solitude, l’anéantissement de l’être dans une atmosphère chaude et sans vie, où l’on ne perçoit même pas ce bruissement des insectes et des mille êtres invisibles qu’on entend par les après-midi d’été à la campagne.

Marie était absolument démoralisée.

Elle ne reprenait courage que vers le soir, alors que le quartier se réveillait tout à coup de son sommeil factice, de sa torpeur malsaine, et que les enfants se répandaient dans les rues, en criant et en se poursuivant.

Il y en avait des centaines et des centaines de petits, et on était tenté de se demander d’où ils sortaient tous. La majorité appartenaient à la forte race canadienne-française ; mais il y avait aussi un grand nombre de petits têtes blondes dont la nuance indiquait l’origine anglo-saxonne. C’est que nos compatriotes anglais ont peuplé une bonne partie du nord du quartier Saint-Denis, dont ils ont apprécié, en gens pratiques, les loyers modérés ainsi que la situation saine, loin du centre de la ville : cette partie du quartier n’est-elle pas en effet le « Westmount » des gens de ressources modiques ?

Ces enfants de deux races amies ne se mêlaient pas beaucoup malheureusement : ils fréquentaient des écoles différentes, où on ne leur enseignait peut-être pas assez la grande vertu de tolérance, qui n’est en définitive que la charité chrétienne alliée à la largeur d’esprit.

Ils organisaient des jeux auxquels ils se livraient avec ardeur, tellement que les parents avaient peine à les faire rentrer pour le souper. Ils se répandaient de nouveau dans la rue, après souper. Les promeneurs et les promeneuses peuplaient les trottoirs et sous la lumière des lampes à arc on voyait passer des ombres nombreuses. Des rires, des cris s’entendaient : le quartier avait recouvré la vie.

Les maîtresses de maisons, les ménagères de tous les braves travailleurs qui étaient rentrés dans leurs foyers venaient faire leurs emplettes. Elles poussaient la porte de l’épicerie et l’air frais du soir entrait avec elles, comme un ami.

Toutes les journées n’étaient pas aussi calmes que celle dont on vient de lire le récit. La vie de quartier est en effet plus intense pendant l’été que pendant toute autre saison. Tout le monde vit dehors, une fois que le soleil est un peu tombé sur l’horizon. On se visite davantage et il en résulte de nombreux ennuis et de nombreuses querelles.