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Pourquoi faut-il qu’on s’occupe des affaires des voisins ? Pourquoi insulte-t-on ceux qu’on ne connait pas et qui ne tiennent pas à vous connaître ? C’est difficile à dire, mais cela arrive trop souvent, et on trouve nombre de gens qui s’imaginent de bonne foi qu’ils ne font rien de mal en s’occupant de ce qui ne les regarde pas et en insultant ceux dont la démarche ou l’apparence leur déplait. — Il semble y avoir une morale particulière à l’usage des insulteurs, dans certaines consciences.

Marie et ses parents voyaient donc avec étonnement les injures qu’on se prodiguait de part et d’autres, entre commères, pour des niaiseries, pour des riens.

La Leblanc surtout était redoutable pour la paix du quartier. Elle envoyait sournoisement ses enfants ennuyer les voisins, puis les rappelait ensuite, comme s’ils lui eussent désobéi, faisant d’eux des petits vauriens et des hypocrites accomplis. Marie ne l’encourageait pas assez, à son gré, dans ses commérages contre les voisins et l’écoutait d’une oreille trop distraite. Elle en voulait à la jeune fille, de sa retenue et de sa dignité ; elle en voulait aussi au père Beaulieu, parce qu’il lui marquait trop ouvertement le dégoût qu’elle lui inspirait.

Pour se venger de ces torts qu’elle se persuadait être très réels, elle envoyait ses enfants jouer devant l’épicerie, où ils barraient le chemin aux passants, dérangeaient les marchandises et soulevaient une poussière insupportable. Le père Beaulieu leur fit des observations, mais inutilement. Il fut obligé d’avoir recours à la police pour les chasser.

L’aventure fut connue dans les alentours et la Leblanc fut fort mortifiée de l’affront qu’elle s’était elle-même attirée. Elle tenta de se réhabiliter en parlant à tue-tête avec la Fournier des choses de la religion, disant très fort, quand les voisins étaient sur le pas de leur porte, le soir : « je suis allée à la messe de sept heures, ce matin, » afin que ceux qui l’entendaient crussent qu’elle était une forte bonne femme et que ses enfants avaient agi contre son gré. Ou bien, elle parlait avec ostentation de la communion de son petit garçon, qu’il se préparait à faire à l’automne.

Les Beaulieu se laissaient peu émouvoir par ces petits ennuis mais ils en étaient profondément étonnés. Ils marchaient de découverte en découverte, et constataient que la vie à la ville est plus compliquée et plus difficile qu’ils ne l’avaient cru.


Le père Beaulieu ne le disait pas, mais il était profondément découragé. Le changement de toutes ses habitudes, à un âge l’on n’en change guère, le départ de Joseph du foyer, les ennuis divers qu’il avait subis depuis son arrivée à la ville, les traces et le travail pénible du commerce d’épicerie, tout concourait à le harasser, à le surmener, à lui faire regretter les jours paisibles d’autrefois et les vieilles amitiés de Saint-Augustin.