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veut que les sentiments tendres succèdent aux sentiments tristes et que la mort fasse germer l’amour.

La fin soudaine du père Beaulieu avait produit une profonde impression chez le docteur Ducondu, où on avait suivi avec intérêt les péripéties de la vie du cultivateur, depuis son départ de la campagne. Souvent madame Ducondu et Ernestine avaient discuté avec le docteur la possibilité pour un homme de l’âge du père Beaulieu de changer d’occupation et de vie. Le docteur était d’opinion que la chose était difficile et sa femme et sa fille se demandaient avec curiosité ce qui adviendrait d’un changement aussi radical. Tous trois avaient maintenant la réponse à leurs doutes et à leur questions, et cette réponse les peinait beaucoup, car ils n’appréhendaient pas un dénouement aussi triste.

Parmi les amis que le docteur Ducondu recevait dans l’intimité se trouvait l’avocat Jean Larue, qui vint passer la soirée chez lui le surlendemain de la mort du père Beaulieu. Le docteur lui apprit le triste événement et on parla naturellement, une fois de plus, des malheurs du disparu. Il en résulta une longue discussion sur la spéculation en général et la spéculation sur les immeubles en particulier. Le père Beaulieu avait été victime d’une spéculation imprudente et son cas semblait à tous des plus typiques..

« Ce sont évidemment ses embarras d’argent qui ont occasionné sa mort », disait le docteur.

« N’aurait-il pu en sortir », demanda madame Ducondu.

« Il eût fallu qu’il empruntât de l’argent », disait Larue, « car personne n’achèterait ces lots au prix qu’il les avait payés. Ils ne vaudront pas ce prix avant dix ans. »

— Je me demande comment monsieur Dulieu s’y était pris pour le tromper ainsi, se récriait madame Ducondu, il devrait avoir honte.

— Oh ! il n’a pas fait pis que bien d’autres, disait le docteur ; c’est aux gens à ne pas acheter en aveugles.

— C’était certainement une bonne dupe, dit Larue ; il ne connaissait pas la ville et il n’aurait pas dû se risquer ainsi.

— Il y en a beaucoup qui la connaissent et qui se laissent tromper, dit le docteur. C’est l’éternelle histoire de la course après la fortune ; quelques-uns l’atteignent et d’autres échouent misérablement.

— Est-ce que monsieur Duverger n’a pas des propriétés en ville ? demanda Ernestine à Louis, qui se trouvait aussi chez le docteur.

— Oui, mademoiselle, répondit le jeune homme.

— Et il ne s’est pas fait voler, lui, continua la jeune fille.

— C’est parce qu’il n’a pas acheté de terrains, dit Louis ; il a acheté des maisons, de sorte qu’il retire des loyers qui lui servent à payer ses impôts et à solder la balance du prix de vente.

« Comme question de fait », dit madame Ducondu, « est-ce que, la spéculation sur l’immeubles n’est pas un peu surfaite ? On n’entend parler que de cela. Les journaux en sont pleins. À entendre causer les gens, on pourrait s’enrichir dans le temps de le dire. Mais je ne