Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, II.djvu/595

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de l’Empereur. La seule faute, la faute capitale de Grouchy, c’était d’avoir perdu la trace des Prussiens, c’est encore une fois d’avoir contrarié le plan de l’Empereur en permettant la réunion des deux armées qu’il était spécialement chargé de tenir séparées. L’Empereur, quand il se décida à livrer la bataille de Waterloo, se croyait et devait se croire débarrassé des Prussiens, c’est à l’armée anglo-hollandaise seule qu’il pensait avoir affaire ; aussi, malgré la supériorité numérique de son ennemi, il comptait sur la victoire. Sur cent chances, disait-il en déjeunant à la pointe du jour, nous en aurons quatre-vingts pour nous. — On fait trop peu d’attention à l’influence exercée sur les hommes, surtout à la veille d’une bataille, par la fatigue excessive, le mauvais temps, le défaut de nourriture et de repos, les causes d’épuisement physique opérant sur le moral, amenant le découragement. Qu’on se représente donc l’armée française courant depuis huit jours à marches forcées, manquant de vivres, marchant dans des terres détrempées, couchant dans la boue, sans abri contre une pluie continuelle ; on jugera avec quel désavantage elle allait aborder des troupes fraîches, supérieures en nombre, sur un terrain choisi par elles et soigneusement fortifié.

La position de l’armée anglaise, très-favorable sous plusieurs rapports, n’était cependant pas irréprochable. Elle occupait un beau plateau, elle était appuyée par la forêt de Soignes, mais elle n’avait qu’une seule chaussée pour ses communications avec Bruxelles, et était placée de manière à opérer difficilement sa retraite si elle eût perdu la bataille.

Napoléon, dans les Mémoires qu’il dictait à Sainte-Hélène à M. de Las Cases, juge fort sévèrement le duc de Wellington sous le rapport militaire, ce qui est fort naturel ; ses reproches ne sont pas tous également injustes cependant, et plusieurs sont réellement fondés. — « Ah ! qu’il doit un beau cierge au vieux Blücher, dit-ii, sans celui-là je ne sais pas où serait Sa Grâce, ainsi qu’ils l’appellent ; mais moi, bien sûrement, je ne serais pas ici. Ses troupes ont été admirables, ses dispositions à lui pitoyables, ou pour mieux dire il n’en a fait aucune. Il s’était mis dans l’impossibilité d’en faire, et chose bizarre ! c’est ce qui a fini par le sauver. S’il eût pu commencer sa retraite, il était perdu. Il est demeuré maître du champ de bataille, cela est certain, mais l’a-t-il dû à ses combinaisons ? Il a recueilli les fruits d’une victoire prodigieuse, mais son génie l’avait-il préparée ? Sa gloire est toute négative, et ses fautes sont immenses. Lui, généralissime européen, chargé d’aussi grands intérêts, ayant au front un ennemi aussi prompt, aussi hardi que moi, laisser ses troupes éparses, dormir dans une capitale, et se laisser surprendre ! Ah ! ce que peut la fatalité, quand elle s’en mêle ! En trois jours j’ai vu le destin de la France, celui du monde échapper de mes combinaisons. » — Ce qu’on vient de lire est plus particulièrement relatif au début et à l’ensemble de la campagne ; mais voici ce qui, dans les notes du docteur O’Méara, concerne directement la position de Wellington à Waterloo. — Si lord Wellington, dit Napoléon, se fût retranché, je ne l’aurais pas attaqué ; comme général, son plan n’indiquait pas de talents ; il déploya sans doute beaucoup de courage et de persévérance, mais il perd un peu de son mérite, lorsque l’on considère qu’il n’avait aucun moyen de retraite, et que s’il eût cherché à l’effectuer, il n’aurait pas sauvé un seul homme de son armée ; il dut le gain de la bataille, d’abord à la fermeté, à la bravoure de ses troupes,