Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/164

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lez ! — Oui, je suis là.. vous regardant, plein d’émotion et d’anxiété mesurant l’épaisseur des feuilles tournées, cherchant sur votre physionomie le reflet de ce chapitre essentiel !

— Non, me dis-je, il n’y est pas encore ! Tout à l’heure, il va bondir ! Il ne pourra pas se contenir… et dans son enthousiasme il embrassera quelque chose… sa femme, peut-être !…

Mais vous lisez toujours… Le chapitre sublime doit être passé, et vous n’avez pas bondi le moins du monde, et vous n’avez rien embrassé. Et le faisceau de feuilles s’amoindrit, s’amincit de plus en plus sous votre pouce droit, et avec lui disparaît aussi l’espoir que j’avais de ce baiser conjugal ! En vérité, j’avais même compté sur une larme !

Quoi ! vous avez fini le roman, vous en êtes au point où ils sont l’un à l’autre, et tout en baillant — autre signe d’éloquence maritale, — vous balbutiez.

— Brrr ! — Cela ne vaut pas le diable !… C’est une histoire que… bah ! on en écrit tant aujourd’hui !

Mais, monstre, tigre, européen, lecteur ! tu ne sais donc pas que tu viens de passer là une heure à mâcher mon esprit comme un vieux cure-dents ! À mordre et à ronger la chair et les os de ton semblable… Anthropophage ! Mais tu ne sais donc pas, que dans tout cela il y avait mon âme, et que cette âme tu en as fait une boulette, comme si c’était de l’herbe en salade ! mais, c’était mon cœur, ce que tu viens d’avaler comme un petit pâté de trois sous ! Oui ! dans ce livre j’avais mis mon cœur et mon âme ! Sur ces pages sont tombées tant de larmes ! c’est le sang de mes veines que je te donnais, en noircissant ce manuscrit ! Tu as acheté tout cela un certain nombre de centimes et tu fais :