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Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/196

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— Pas le moins du monde, parceque vous n’êtes pas grimpé sur une chaise à trois pieds. Là, vous prenez un siège à quatre pieds, un fauteuil, si mieux vous aimez, vous vous installez commodément devant le tableau pour en jouir, à votre aise et tout votre soûl : — oui, on jouit à la vue de ces horreurs là ! — Voyons, répondez-moi, quelle est votre impression ?

— Mais une impression de frayeur, d’angoisse, d’émotion, de pitié, tout comme lorsque je regardais à travers le trou de ma prison. Vous supposez le tableau parfait.. Il faut donc qu’il me produise le même effet que la réalité.

— Non. Je ne vous donne pas deux minutes pour ressentir une violente douleur à votre bras droit. Et cette douleur n’aura pas d’autre cause que votre sympathie pour ce malheureux bourreau, forcé de se tenir si longtemps, immobile, ce lourd morceau d’acier au poing…

— De la sympathie pour le bourreau !

— Oui, la même sympathie, la même compassion que pour la condamnée, pour cette pauvre femme, qui se tient là, accroupie devant le billot, depuis si longtemps, dans une pose incommode, et dans une disposition d’esprit insoutenable ! Vous vous sentez bien encore de la pitié pour elle, non parce qu’on la décapite, mais parce qu’on fait tant durer le plaisir avant de la décapiter ! Et, si vous étiez à même de parler en sa faveur, en supposant que vous voulussiez vous mêler de l’affaire, vous ne pousseriez qu’une seule exclamation : » pour Dieu, bourreau, frappe donc ! elle attend ! » Puis, plus tard, si vous revoyez cette peinture, et si vous êtes destiné à la revoir souvent, votre première impression sera : » ah ! ça !