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n’aura pas envie d’aller se coucher, au lieu de dégainer quoi que ce soit.

Et la récompense de la vertu !

Oh ! Oh ! Oh !

Il y a dix-sept ans que je suis commissionnaire en cafés — Canal des Lauriers, no 37 — et j’ai vu bien des choses. Eh bien ! Je n’ai jamais vu personne plus maltraité sur cette terre que la vérité, la trop patiente vérité.

La vertu récompensée !… Donc, de la vertu vous faites une marchandise. Dans le monde, il n’en est pas ainsi ; et laissez-moi trouver bon qu’il n’en soit pas ainsi. Le beau mérite, si la vertu était sûre de trouver sa récompense. À quoi bon cette supercherie et ce manque de vérité, aussi sots que malhonnêtes !

Tenez : il y a Lucas, notre garçon de magasin, qui travaillait déjà chez le père de Last et Co, — dans ce temps-là, la raison sociale était Last et Meyer, mais les Meyer se sont retirés, — Lucas était pourtant bien un garçon vertueux. Jamais il ne manquait un grain au magasin ; il allait à l’église, et ne buvait pas. Quand mon beau-père était à sa campagne, à Driebergen, Lucas gardait la maison, la caisse, et tout le reste. Un jour, il toucha trente-six francs de trop à la Banque, et il les rapporta. Aujourd’hui, il est vieux, goutteux, et il ne peut plus servir. Il ne gagne plus rien, car il se fait beaucoup d’affaires chez nous, et il nous faut des jeunes gens. Eh bien ! ce Lucas, je le considère comme très vertueux ; quelle est sa récompense ? Un prince vient-il lui farcir ses poches de diamants ? Une fée lui beurre-t-elle ses tartines ? Non ! Parbleu ! Il est pauvre, et il reste pauvre. Pourquoi ? Parce-