Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/252

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qu’une affaire de détails, il ne faut que de la patte, comme disent les peintres.

Si le cadavre de l’homme, qui gît là-bas, ne vous dit rien, soyez tranquille, j’ai encore de la place dans mon récit pour une autre agonie, pleine de râles et de souffrances horribles !…

Vous ne pleurez pas, devant cette mère éperdue, qui cherche en vain, son enfant adoré… eh bien ! voici une autre mère aux yeux de laquelle on va écarteler cet autre enfant !

Vous ne sourcillez pas au martyre de l’homme que voilà… nous allons bien voir si votre sensibilité résistera au spectacle navrant de quatre vingt dix neuf autres misérables, torturés à ses côtés !

Êtes-vous assez dépourvu de cœur pour ne pas frémir à la vue de ce soldat, qui, mourant de faim, à la suite d’un long siège, dévore son bras droit de ses dents avides ?…

Épicurien que vous êtes ! attendez. Je réunis mon monde, et je commande : faites le cercle ! Bien ! À présent, soldats, que chacun de vous dévore le bras gauche de son camarade de droite !… Ferme !… attention ! Une, deux, mordez !

C’est ainsi que dans les questions artistiques, l’horreur ou l’horrible aboutit à la folie…

Ce que je voulais vous démontrer, en passant.

Ferait-on preuve de bon sens, en prétendant condamner trop vite un auteur qui désirerait vous préparer à son dénouement, sans se servir de couleurs aussi criantes ?

Toutefois, ne passons pas d’un extrême à l’autre. Ce serait tout aussi déraisonnable, et tout aussi dangereux. Vous ne prisez pas les efforts de cette littérature forcenée, qui croit avoir besoin d’armes aussi