Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/334

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Mais, elle ne perd pas courage. Elle ressaisit son butin, et de nouveau elle le remonte à grand’peine jusqu’en haut, pour retomber encore, tout-à-l’heure, au fond du même abîme.

Mon récit sera tout aussi monotone.

Seulement, je ne vous parlerai pas de ces pauvres petites fourmis, dont la joie ou la douleur échappent à notre observation, nos sens étant trop grossiers pour les percevoir ; non, je vous parlerai de pauvres créatures qui marchent et vivent comme nous, c’est d’hommes, vos semblables que je vous entretiendrai.

Il est vrai que si vous ne tenez pas à vous émouvoir, que si vous ne voulez pas livrer votre âme au sentiment de la pitié, vous me répondrez que ces hommes sont jaunes ou bruns D’aucuns disent qu’ils sont noirs ! Et, pour ces derniers, comme pour vous la différence de couleur sera un motif suffisant, pour tourner la tête, dédaigner cette misère et cette détresse, ou tout au moins pour les contempler sans émotion, ni pitié.

Mon récit ne s’adressera donc qu’aux lecteurs, capables de croire qu’un cœur peut battre sous une peau de couleur, et assez généreux pour comprendre que le blanc civilisé, savant dans le commerce, vertueux, et pratiquant Dieu, peut employer toutes ces qualités blanches au profit de l’être vivant, qui ne possède ni sa blancheur de peau, ni sa perfection psychologique.

Ma foi en eux ne va cependant pas jusqu’à penser que leur sympathie pour les Javanais leur fera répandre des larmes au récit des souffrances de ces derniers, le jour où l’on vient enlever leur dernier buffle de leur enclos, et cela, sous la protection de l’autorité hollandaise.