Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/333

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d’hiver, sur la montagne, c’est à dire sur la motte de terre, interceptant le chemin de la grange où sont précieusement renfermées ces mêmes provisions.

À chaque instant, la pauvre petite bête tombe en arrière avec son fardeau, et à chaque instant encore elle essaie de parvenir à mettre la patte, sur le rocher qui couronne la montagne, une toute petite, petite pierre !

Mais, entre elle et ce sommet, se dresse un abîme, un gouffre que les corps de mille fourmis ne parviendraient pas à combler.

C’est un obstacle à tourner.

Alors, elle, qui possède à peine la force de traîner son fardeau sur un terrain plane, — un fardeau plusieurs fois lourd comme son corps, — elle se lève, se tient debout, sur un terrain mobile, et cherche à y garder l’équilibre tout en tenant son butin entre ses pattes de devant.

Elle l’agite obliquement, le plus haut qu’il lui est possible, pour lui faire toucher le point saillant du rocher.

Mais, hélas, elle titube, chancelle, s’effraie, et va succomber ! Elle s’efforce alors de se retenir, de s’accrocher à un tronc d’arbre à demi-déraciné, dont la cime penche vers l’abime, — un brin d’herbe, ma foi ! — Mais elle manque son point d’appui ! L’arbre s’agite sous ses efforts désespérés et recule ! Le brin d’herbe se plie en deux !… et la fourmi tombe dans le gouffre avec son fardeau !

Pour le coup, elle est tranquille un moment, une seconde, ce qui est long dans la vie d’une fourmi.

Est-elle étourdie par la violence de sa chute, ou succombe-t-elle sous le chagrin de voir tous ses efforts perdus ?

Je l’ignore.