Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/88

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donner quelque paiement en échange de ce travail serait regardé comme une insulte publique : voilà l’usage. Mais, à côté de cette esplanade, ou plus loin, sont situés des champs qui attendent soit la charrue, soit un aqueduc devant, la plupart du temps, apporter l’eau de plusieurs lieues de distance ; ces champs qui lui appartiennent, pour les labourer, le Régent convoque des villages entiers, dont les propres terres auraient également besoin de travail : voilà l’abus.

Tout cela n’est pas ignoré du Gouvernement. Quiconque lit le Bulletin officiel contenant les lois et décrets, ainsi que les dépêches et instructions à l’adresse des fonctionnaires, applaudit aux sentiments d’humanité et de justice qui semblent les avoir inspirés. En investissant l’Européen de son pouvoir, partout on lui recommande, à titre d’une de ses obligations les plus sacrées, de protéger la population contre le despotisme et la rapacité de ses chefs ; et, comme s’il ne suffisait pas de prescrire cette obligation en général, les sous-préfets qui entrent en fonctions prêtent un serment spécial, et jurent de considérer comme leur premier devoir cette sollicitude paternelle envers la population.

C’est une belle mission. Maintenir la justice ; protéger le faible contre le fort et le puissant ; réclamer l’agneau du pauvre jusques dans les étables du brigand princier… N’y a-t-il pas de quoi enflammer le cœur d’enthousiasme à l’idée d’être appelé à un aussi beau rôle ! Et si, dans le centre de Java, il se trouvait un administrateur parfois mécontent de son poste ou de ses appointements, qu’il tourne son regard vers le devoir sublime qui lui incombe, qu’il réfléchisse à la douce jouissance qui suit l’accomplissement d’un tel devoir, et il ne demandera pas d’autre récompense.