Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/89

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Mais… ce devoir n’est pas facile.

D’abord, il faut savoir discerner si l’usage dégénère en abus ; ensuite, quand l’abus, quand le vol et l’arbitraire sont constatés, les victimes elles-mêmes en sont souvent complices, soit par leur soumission exagérée, soit par leur manque de confiance dans la volonté ou dans la puissance du protecteur. Chacun sait que le fonctionnaire européen peut être appelé à tout moment à un autre emploi, tandis que le Régent, le puissant Régent reste en place. De plus, il y a tant de manières de s’approprier les biens d’un homme simple et pauvre ! Qu’un agent de police lui fasse connaître l’envie qu’a le Régent de son cheval ; que, par suite, l’animal convoité passe dans les écuries du Régent ; il n’est pas prouvé pour cela que le seigneur n’ait pas l’intention de le payer grandement… un jour ou l’autre ! Quand des centaines de personnes cultivent sans rétribution les champs d’un Chef, il ne s’en suit pas qu’il exige que ces corvées se fassent à son profit. Son intention pourrait être de leur abandonner la moisson par pure humanité, et, en ce cas, son terrain étant mieux situé et plus fertile que le leur, il les rétribuerait plus largement.

Puis, où le fonctionnaire européen trouverait-il des témoins, ayant le courage de déposer contre leur seigneur, le Prince-Régent ? S’il risquait, d’ailleurs, une accusation, sans preuves, que deviendraient les relations de frère à frère ! N’aurait-il pas blessé gratuitement l’honneur de son frère cadet ?

Et le Gouvernement qui lui paie ses services, qui lui fournit les moyens de gagner son pain, lui retirerait à la fois sa faveur, et ce pain si difficile à mériter ; il lui donnerait son congé comme à un impuissant, coupable d’avoir porté plainte trop légèrement,