Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/92

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tente, rallumait son cigare pour la vingtième fois, et se rasseyait.

Il parlait peu. Cependant, il n’était pas seul. Je ne veux pas dire par là qu’il avait la compagnie des vingt ou trente javanais, domestiques, agents et gardiens accroupis sous la tente et au dehors, des gens qui ne cessaient d’entrer et de sortir, ni des nombreux individus de tout rang qui gardaient les chevaux ou cavalcadaient devant sa tente ; mais le Prince-Régent de Lebac, en personne, était assis en face de lui.

C’est toujours ennuyeux d’attendre. Un quart d’heure semble une heure, une heure semble une demi-journée et ainsi de suite. Dipanon aurait pourtant pu être un peu plus communicatif. Le Prince-Régent de Lebac était un homme civilisé, avancé en âge, qui savait parler sur beaucoup de choses avec intelligence et jugement. On n’avait qu’à le regarder pour se convaincre que la plupart des Européens échangeant des idées avec lui, avaient plus à apprendre qu’à enseigner. Le feu de ses yeux vifs et foncés faisait contraste avec ses traits fatigués et ses cheveux gris. Ce qu’il disait était, le plus souvent, très réfléchi, selon l’usage de presque tous les Orientaux civilisés ; on sentait, en l’écoutant, que ses paroles étaient des copies dont les minutes restaient dans les archives de sa mémoire, et, qu’au besoin, il pourrait y avoir recours.

Cette prudence paraît parfois dèsagréable à celui qui n’a pas l’habitude de s’entretenir avec les grands de Java ; mais aussi rien n’est plus facile que d’éviter dans les entretiens les sujets délicats, les Orientaux ne donnant jamais une tournure brusque à la conversation, ce qui, d’après leurs idées, serait contraire