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L’AIGUILLE DES CHARMOZ

Monsieur que pendant les courses. Ce commerce d’intimité d’antan n’existant pas, le guide tend de plus en plus à n’être qu’un laquais, et le touriste orgueilleux ne le regarde que comme regarde son mulet le touriste, son frère, moins ambitieux en fait de courses.

La répétition constante de la même ascension tend de plus à faire du guide une sorte d’entrepreneur. En effet, pour tant de dizaines ou de centaines de francs il vous emmènera partout où vous le désirerez. Le talent du grimpeur ne compte pour absolument rien ; le guide exercé regarde le touriste simplement comme un colis. Bien entendu s’il est d’un poids et d’une grosseur anormale, il devra payer en plus un certain nombre de francs, précisément comme un cavalier qui a une monte de cent kilos doit payer plus cher pour le cheval ; mais, à part l’accident du poids, l’individualité du Monsieur est sans importance.

Le guide, ayant fait un contrat, désire naturellement le mener à bien le plus tôt possible. Pour ce faire, l’ascension de la montagne est dirigée avec la plus grande exactitude. Le guide contractant sait, à la seconde, le temps auquel il arrivera à tel roc, à telle arête. Les plus petites variations de ce temps légal choquent ses sentiments et altèrent la sérénité de son caractère. Partant, il n’y a naturellement plus durant l’ascension aucune fantaisie et aucune gaîté. Les voyageurs poussés à l’extrême limite de leur capacité de marche ne sont pas en état de s’égayer par eux-mêmes ; autant demander à un homme essayant de battre le record du mille de regarder la vue, ou aux membres d’une équipe de bateau d’Oxford de saisir une plaisanterie. La caravane est simplement poussée en avant, arrêtée seulement lorsque les poumons ou les jambes du voyageur empêchent d’aller un pas plus loin.