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LA PLUS DIFFICILE ESCALADE DES ALPES

pour les mains, et rien du tout pour les pieds ; le grimpeur avance surtout en se fiant dévotement à la Providence, à laquelle suppléent parfois, il est vrai, quelques pierres folles, coincées dans la fissure et plus ou moins douteuses ou branlantes. Au dessus, le besoin de la confiance en la Providence est remplacé, sur la droite, par une saillie excellente, mais où le grimpeur haletant et à bout de souffle trouve encore difficile de hisser son poids. Les saillies deviennent alors plus nombreuses ; finalement vos bras et votre tête arrivent à surplomber le côté Grépon de la grande dalle, pendant que vos jambes luttent encore avec les dernières difficultés de l’autre côté. Quand j’atteins cet endroit, la caravane fait éclater d’en bas de sauvages vivats qui éveillent en moi la crainte que les porteurs ne regardent ces cris comme le signal désiré et ne volent incontinent vers Chamonix. Pendant les intervalles où je peux reprendre mon souffle, je fais part de mes craintes à mes compagnons, et un silence de mort me montre instantanément la saine appréciation qu’ils ont du danger.

Pour empêcher le reste de la caravane de grimper avec une facilité par trop grande et ne pas exposer par là le Grépon au mépris, j’engage judicieusement chacun de ses membres à ne pas perdre de temps à m’envoyer par la corde les piolets et les sacs, mais à suspendre leur piolet à leur bras et à se distribuer les bagages. Mon succès fut complet et je trouvai là une aide des plus efficaces pour imprimer à mes compagnons le respect dû à la fameuse fissure.

Nous escaladons alors la cheminée, nous passons à travers le « Kanones Loch», et à mesure que nous avançons notre espoir dans la réussite finale devient de plus en plus grand ; mon ancienne route est suivie jusqu’au