Page:Mummery - Mes escalades dans les Alpes.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
UNE COURSE FACILE POUR DAME

lader sans la moindre difficulté ; Slingsby même avait joint au sien propre, mon piolet, que j’avais laissé s’ennuyer seul dans une fissure.

La face de la Mer de Glace était en plein soleil ; il y faisait une chaleur délicieuse après l’ombre des rochers glacés de la face Ouest. Nous traversons des arêtes faciles, dans un gâchis de neige fondante, jusqu’à un rocher à large sommet, d’où se projette très loin une cheminée à pic plongeant sur le Glacier de Trélaporte. Sur le sommet de ce rocher nous sortons nos provisions et faisons notre première longue halte. Nous donnons une excuse à notre paresse, car il se fait tard, en disant que la « fissure » ne peut être escaladée avant que le jour soit assez avancé et que l’ombre soit moins froide. Notre corniche avait un caractère des plus sensationnels. La muraille en dessous surplombait, et les petits ruisseaux de neige fondue tombaient de l’arête par devant nous, en un éparpillement de pluie éclairé par le soleil. En dessous la muraille fléchissait de nouveau, en sorte que les pierres délogées par nous tombaient pendant 120 à 150 mètres avant de toucher les farouches parois du couloir. Mon siège se trouvait à l’extrême bout du roc en saillie et quelque peu dépourvu de prises. Je dois reconnaître que ce précipice épouvantable produisait par moments un tel effet sur mon cerveau, que la stabilité elle-même de notre perchoir me paraissait douteuse, et qu’il me semblait presque sentir le rocher partir en un terrible plongeon dans l’espace.

Au bout de trois quarts d’heure nous refaisons le sac et nous nous dispersons à travers la montagne à la recherche d’une place convenable pour l’appareil de photographie. Une petite arête, à peine assez large pour s’y glisser, conduit à la tour dont le sommet aplati forme la