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LE GRÉPON

si resserrées et la cheminée elle-même tellement à pic qu’il est presque impossible de jouer du piolet utilement et que je me trouve obligé de quitter le sac. Libre de cet embarras, je puis alors surmonter l’obstacle, et, franchissant le trou, j’émerge enfin devant un magnifique soleil. Le sac et les autres bagages sont hissés et le reste de la caravane suit. Les arêtes verglassées et les prises de la cheminée, pour ne rien dire de la corde couverte de neige constamment en main, avaient amené nos doigts à un tel degré de froid, que nous souffrions atrocement. Nous nous asseyons sur les rocs chaudement ensoleillés, et là nous nous tournons et retournons dans les attitudes les plus variées, qui nous paraissent les plus propres il nous permettre de souffrir en silence. La sensation, que donne le froid, d’avoir les doigts fendus jusqu’au bout par un couteau ébréché fait graduellement place à une douce chaleur, et, comme nous n’aurons plus rien à faire avec le verglas et autres abominations semblables qui rendent les gants un luxe impossible, nous les mettons et avançons en pleine béatitude. Nous étions satisfaits d’une chose : notre indolence et notre paresse étaient justifiées ; eussions-nous tenté de grimper cette partie de la montagne à une heure plus matinale que le froid nous eut ramenés en bas.

À partir de ce point, le soleil brillait sur l’arête, et nos esprits vibrèrent à leur plus haut diapason. Miss Bristow montra aux représentants de l’Alpine Club comment on doit escalader les rocs à pic ; elle employa, en opérations photographiques, les haltes que les plus vieux de la cordée passaient à recouvrer leur soufle. Après avoir atteint le pied de la tour finale, nous glissons une corde à la partie C P de la caravane. Le sommeil, le tabac, l’amour du farniente avaient si bien