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L’AIGUILLE VERTE

« N’avons-nous pas », dit-il, « peiné à travers les crevasses, remplissant nos poches de neige, secouant nos organes digestifs en de longs sauts ou en des chutes inattendues au fond de trous cachés, et maintenant que nous avons atteint une route évidente et facile, n’est-ce pas le comble de l’absurdité que de battre en retraite ? »

Mais son éloquence n’était pas à comparer avec le discours muet de la pente. Nous sentions déjà dans chacune de nos jambes la peine que nous aurions à la lever, jusqu’à toucher le menton du genou, nous sentions déjà l’agonie que nous aurions à tendre tous nos muscles jusqu’à ce que notre poids soit enfin soulevé, nous sentions déjà le déchirement de cœur que l’on a, lorsqu’un craquement vous avertit que la neige donne coup, et que finalement le seul résultat, ou presque, de votre effort est d’avoir ouvert dans la neige un trou de 45 centimètres. Il est donc impossible à Hastings de nous persuader, et comme nous sommes convaincus de cette grande vérité que « la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée », nous déployons de fallacieux arguments, basés sur des textes, et appuyés des sentences variées d’après l’avis de sages et augustes personnages, présidents de l’Alpine-Club et autres de même acabit, à savoir que les grimpeurs doivent toujours faire demi-tour devant le mauvais temps. Hastings regardait les 2 mètres de pente visibles devant nous, avec la même joie qui inspirait les Ironsides de Cromwell, quand une troupe de cavaliers venait en vue ; il était difficile à convaincre et faisait appel précisément aux exemples des héros et des demi-dieux que nous venions de citer. Les expéditions étaient empilées sur les expéditions, démontrant que les auteurs de cet excellent avis, ceux dont l’intelligence était la mieux comprise et la plus appréciée, avaient invariablement et