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LE DYCH TAU

commençons à ascensionner d’interminables pentes de séracs et de pierres. Arrivés là, le berger prend pitié de ma peine, et saisissant mon sac il insiste pour l’ajouter à l’énorme pile de bagages qu’il porte déjà. En dépit de sa charge, il est encore capable de nous montrer le chemin et d’avancer à grands pas, tout en nous faisant admirer la splendeur de ses muscles et la perfection de son équilibre. À 6 h. soir environ, nous atteignons l’endroit le plus élevé où vraisemblablement nous pourrons encore trouver de l’eau. Au dessus, de longues pentes de neige et d’éboulis conduisent au petit glacier situé en dessous du col séparatif du pic et du grand promontoire que j’avais escaladé deux ou trois semaines auparavant.

Nous creusons l’éboulis avec nos piolets et y faisons une excellente plateforme pour la tente ; lors, le feu est allumé et tout joyeux nous absorbons une soupe chaude, des biscuits anglais et du mouton du Caucase. Devant nous se trouve le grand mur crénelé de glace du Shkara et du Janga, se dressant haut, dans l’air chaudement coloré, pendant que, en dessous, le glacier silencieux s’assombrit dans un froid noir et que les vapeurs rassemblées par le soir se traînent lentement le long de ses pentes. En arrière de notre tente surgissent les grandes falaises du Dych Tau. Il y a dans les grands pics vierges, spécialement quand on les voit à la lumière tombante du jour, quelque chose d’étrangement solennel. Plaisanteries et badinages sont écartés comme une profanation, et l’on regarde leurs terribles falaises avec des sentiments tout à fait analogues à ceux avec lesquels le pèlerin du moyen âge adorait quelque sainte relique. Les ombres grandissantes s’allongeaient à travers la face de la montagne montrant de profonds couloirs ou des arêtes déchiquetées, des rocs verglassés ou de vastes et impitoyables