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QUELQUES COLS CAUCASIENS

campement habituel d’où l’on franchit le Col de Twiber[1].

Deux ans plus tard je vins me promener, à pied et à cheval, le long de la crête de la basse arête qui sépare le district de Mujal de la vallée principale d’Ingur. Comme délicieux paysages cette arête n’a pas d’égale. Des pelouses de gazon ombragées d’arbres magnifiques et arrosées de ravissants ruisseaux viennent offrir le terrain rêvé pour un campement. Loin vers le Nord se dresse la grande chaîne dominée par le plus majestueux des pics de la région, l’Ush-ba aux deux têtes[2] ; pendant que, au Sud, s’étendent les vallées couvertes de forêts et les villages fortifiés où les naturels regardent encore l’étranger avec suspicion. À Scena on peut encore voir le foulage du blé par les bœufs et le vannage grossier fait en jetant en l’air le grain avec des pelles de bois creusées dans un seul morceau de sapin. On peut encore y voir les femmes broyant le blé dans les grouards primitifs[3]. Et ainsi toutes les idées du village reportent votre pensée aux plus anciens pionniers de la civilisation. Si ravissante est cette région aux denses forêts primévales, aux vallées où les torrents creusent leur lit à travers les troncs de sapins colossaux, aux petites oasis de gazons, aux rives enfouies sous les buissons de framboisier chargés de fruits délicieux, que le montagnard y

  1. A.-F. Mummery était, on le voit, dans l’intention de traverser le Col de Twiber, passage connu et facile qui, par une branche Nord-Est du Glacier de Twiber, et par le Glacier de Kulak, affluent du Chegeni, met en communication Mujal et Chegem (voy. la Suanélie Libre, par M. de Déchy). En route il changea d’avis comme on le verra plus loin. — M. P.
  2. L’Ush-ba a 4697 m d’altilude. — M. P.
  3. Ces vieux grouards étaient encore en service en r rance vers le milieu du XIXe siècle ; on en trouve encore des spécimens il en existe un notamment à la mairie de Crémieu (Isère). On moulait ainsi le blé et on le moulait grossièrement, ce qui produisait un grain de farine non réduit en poussière, mais débarrassé du son : c’était alors le gruau qu’on utilisait pour la soupe, évitant ainsi les droits de mouture. Le mot de gruau a été ensuite dérivé de son sens primitif pour celui qu’il possède maintenant, de fine fleur de farine. — M. P.