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ÉTUDES

des solitudes inexplorées. Henry Murger a trouvé la bohème, et dans ce monde à part, que lui-même a défini, ce jeune homme (il avait à peine vingt ans) nous a conduits, à travers mille péripéties, à la suite des originaux les plus amusants du monde ; et tant de gaieté, tant de larmes, tant de francs rires et de pauvreté vaillante ! Ah ! l’aimable écrivain, le charmant observateur des joyeuses misères, le romancier naïf des jeunes amours, tout rempli de caprices, de fantaisies et d’étonnements !

 

Henry Murger reconnaissait des bohèmes de trois espèces, à savoir : l’artiste ignoré et faisant de l’art pour l’art, sans trop songer qu’il faut avoir en ce bas monde un domicile, un habit présentable, et pour le moins un repas chaque jour. Ces imprévoyants, pour peu que vous leur parliez de la plus simple prudence, ils vous tournent le dos et vous appellent des bourgeois, ce qui est la plus grosse injure qu’ils vous puissent dire. Une autre fraction de la bohème est représentée par la partie impuissante des écrivains sans style et des peintres sans couleur. Ils rêvaient la gloire au départ… ils n’ont pas fait vingt pas dans la carrière, qu’ils s’arrêtent découragés ; mais, quand ils devraient accuser leur impuissance, ils accusent l’ingratitude et l’ignorance de leur siècle. Ainsi toute leur vie, ils l’emploient à maudire le genre humain, et, quand l’heure arrive où pour tout de bon il faut mourir, ces insensés diraient volontiers, comme autrefois Néron l’empereur : « Quel grand ouvrier perdra le monde en me perdant ! »