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SUR HENRY MURGER.

Henry Murger est mort comme un sage et comme un chrétien, et pourtant ce cœur toujours ouvert et qui n’a jamais rien caché pouvait dire, comme un de ses héros, à celui qui lui annonçait un prêtre : « Réponds-lui que j’ai lu Voltaire. » Mais il avait lu aussi l’Évangile.

Il n’a pas fait attendre longtemps la mort ; huit jours avant sa fin, il rentra chez lui de bonne heure, lui qui rentrait toujours tard, frappé du dernier coup. Il avait dîné avec ses amis et leur avait dit : « À demain ! » Le lendemain, c’en était fait de lui. Un érésypèle l’avait envahi.

— N’est-ce pas, disait-il sans effroi, que j’ai déjà mon suaire ?

Il ne se croyait pas encore perdu ; mais, les derniers jours, il répéta à plusieurs reprises :

— Est-ce que cela ne va pas finir ?

Car il sentait bien que ses souffrances ne finiraient pas sans lui.

D’autres conteront mieux que moi cette histoire d’un conteur, mais ils ne la diront pas aussi bien que lui. Il s’est peint lui-même en vers et en prose dans presque toutes ses pages. Non-seulement on peut dire de lui qu’il a écrit parce qu’il a aimé, mais qu’il a écrit ce qu’il a aimé. Son cœur déborde dans chacun de ses livres, dans chacune de ses strophes. Il demeurera, avec Gérard de Nerval, le type consacré du poëte de la bohème. Ç’aura été la même vie à tous les vents et à tous les horizons. Ils ont eu chacun le don d’être heureux de tout, même de n’avoir rien. Louis XIV disait de Dufresny, leur frère