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ÉTUDES

aîné : « Je puis bien prendre une province, mais je n’ai pas le pouvoir d’enrichir Dufresny. »

Qui donc aurait pu enrichir Gérard et Murger ? La cigale n’a pas de grenier. Il n’y a pas longtemps qu’un créancier trop impatient faisait saisir le peintre de la Vie de bohème, qui riait beaucoup de voir les huissiers pour si peu.

— Déjà ? dit-il. Ce que c’est que de n’avoir pas de pendule ! On ne sait jamais l’heure de l’échéance. Saisissez, ce sera bientôt fait ; car je n’ai ici que mon lit, mon habit et mes instruments de travail.

L’huissier regarda avec respect la plume de Henry Murger, et comprit qu’il ne pouvait pas se servir de la sienne.

C’était l’insouciance de La Fontaine ; une La Sablière moins sérieuse, mais plus tendre que celle du fablier, a toujours veillé sur lui.

En cherchant bien, on trouverait la mère patrie des bohèmes sur le seuil d’Aspasie, où toute la jeunesse d’Athènes allait jeter son cœur. La bohème du moyen âge fut à la Cour des Miracles ; Victor Hugo l’a peinte aux ardentes couleurs de son style.

Sterne a tracé la géographie de la bohème fantastique. Charles Nodier s’y est perdu en la cherchant. Gérard de Nerval a écrit l’histoire de la bohème galante.

Après Gérard, Henry Murger est venu, qui a étendu la conquête au pays latin, et bientôt dans tout Paris. Il a prouvé que la bohème était là où chantait la jeunesse qui met son bonnet de travers ; où les journalistes sans jour-