— Oh ! dit Marcel en se mordant les poings, pour en avoir un, je donnerais dix ans de ma vie et ma main droite, vois-tu !
Ils entendirent de nouveau frapper à la porte. Marcel ouvrit.
— Monsieur Schaunard ? dit un étranger en restant sur le seuil.
— C’est moi, répondit le peintre en le priant d’entrer.
— Monsieur, dit l’inconnu, porteur d’une de ces honnêtes figures qui sont le type du provincial, mon cousin m’a beaucoup parlé de votre talent pour le portrait ; et, étant sur le point de faire un voyage aux colonies, où je suis délégué par les raffineurs de la ville de Nantes, je désirerais laisser un souvenir de moi à ma famille. C’est pourquoi je suis venu vous trouver.
— Ô sainte Providence !… murmura Schaunard. Marcel, donne un siége à Monsieur…
— M. Blancheron, reprit l’étranger ; Blancheron de Nantes, délégué de l’industrie sucrière, ancien maire de V…, capitaine de la garde nationale, et auteur d’une brochure sur la question des sucres.
— Je suis fort honoré d’avoir été choisi par vous, dit l’artiste en s’inclinant devant le délégué des raffineurs. Comment désirez-vous avoir votre portrait ?
— À la miniature, comme ça, reprit M. Blancheron en indiquant un portrait à l’huile ; car, pour le délégué comme pour beaucoup d’autres, ce qui n’est pas peinture en bâtiments est miniature, il n’y a pas de milieu.
Cette naïveté donna à Schaunard la mesure du bonhomme auquel il avait affaire, surtout quand celui-ci eut ajouté qu’il désirait que son portrait fût peint avec des couleurs fines.
— Je n’en emploie jamais d’autres, dit Schaunard. De quelle grandeur Monsieur désire-t-il son portrait ?
— Grand comme ça, répondit M. Blancheron en montrant une toile de vingt. Mais dans quel prix ça va-t-il ?
— De cinquante à soixante francs ; cinquante sans les mains, soixante avec.
— Diable ! mon cousin m’avait parlé de trente francs.
— C’est selon la saison, dit le peintre ; les couleurs sont beaucoup plus chères à différentes époques.