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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

— Je trouverai au moins un habit noir d’ici cinq heures, dit Marcel.

— J’ai mis trois semaines pour en trouver un quand j’ai été à la noce de mon cousin ; et c’était au commencement de janvier.

— Eh bien, j’irai comme ça, reprit Marcel en marchant à grands pas. Il ne sera pas dit qu’une misérable question d’étiquette m’empêchera de faire mon premier pas dans le monde.

— À propos de ça, interrompit Schaunard, prenant beaucoup de plaisir à faire du chagrin à son ami, et des bottes ?

Marcel sortit dans un état d’agitation impossible à décrire. Au bout de deux heures il rentrait chargé d’un faux col.

— Voilà tout ce que j’ai pu trouver, dit-il piteusement.

— Ce n’était pas la peine de courir pour si peu, répondit Schaunard, il y a ici du papier de quoi en faire une douzaine.

— Mais, dit Marcel en s’arrachant les cheveux, nous devons avoir des effets, que diable !

— Et il commença une longue perquisition dans tous les coins des deux chambres.

Après une heure de recherche, il réalisa un costume ainsi composé :

Un pantalon écossais,

Un chapeau gris,

Une cravate rouge,

Un gant jadis blanc,

Un gant noir.

— Ça te fera deux gants noirs au besoin, dit Schaunard. Mais quand tu seras habillé, tu auras l’air du spectre solaire. Après ça, quand on est coloriste !

Pendant ce temps Marcel essayait les bottes.

Fatalité ! Elles étaient toutes deux du même pied !

L’artiste, désespéré, avisa alors dans un coin une vieille botte dans laquelle on mettait les vessies usées. Il s’en empara.

— De Garrick en Syllabe, dit son ironique compagnon : celle-ci est pointue et l’autre est carrée.

— Ça ne se verra pas, je les vernirai.

— C’est une idée ! Il ne te manque plus que l’habit noir de rigueur.