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SCÈNES DE LA VIE DE BOHÈME.

Cʼétait un étudiant de seconde année, il parlait très-bien la prose du plaisir, avait de jolis yeux et le gousset sonore.

Louise lui demanda du papier et de lʼencre, et écrivit à Rodolphe une lettre ainsi conçue :

« Ne conte plus sur moi du tou, je tʼembrâse pour la dernière fois. Adieu.

« Louise. »

Comme Rodolphe lisait ce billet le soir en rentrant chez lui, sa lumière mourut tout à coup.

— Tiens, dit Rodolphe en manière de réflexion, cʼest la bougie que j’ai allumée le soir où Louise est venue : elle devait finir avec notre liaison. Si jʼavais su, je lʼaurais choisie plus longue, ajouta-t-il avec un accent moitié dépit, moitié regret, et il déposa le billet de sa maîtresse dans un tiroir quʼil appelait quelquefois les catacombes de ses amours.

Un jour, étant chez Marcel, Rodolphe ramassa à terre, pour allumer sa pipe, un morceau de papier sur lequel il reconnut lʼécriture et lʼorthographe de Louise.

— Jʼai, dit-il à son ami, un autographe de la même personne ; seulement, il y a deux fautes de moins que dans le tien. Est-ce que cela ne prouve pas quʼelle m’aimait mieux que toi ?

— Ça prouve que tu es un niais, lui répondit Marcel : les blanches épaules et les bras blancs nʼont pas besoin de savoir la grammaire.



IV

ALI-RODOLPHE, OU LE TURC PAR NÉCESSITÉ


Frappé d’ostracisme par un propriétaire inhospitalier, Rodolphe vivait depuis quelque temps plus errant que les nuages, et perfectionnait de son mieux l’art de se coucher sans souper, ou de souper sans se coucher ; son cuisinier