débarqué, dis-je, je vois mon hôte abandonner son comptoir, courir au plus vite dans sa chambre, tirer d’une armoire fermée à clef une liasse de vieux papiers concernant l’auteur de Phèdre ; il me les apporte triomphalement, amoureusement, comme sans doute, les jours de gala, un plat longuement rêvé. Il les met avec empressement à ma disposition, les dépose avec une sorte de tendresse respectueuse sur un bureau, m’en raconté la provenance, me fait part des mille soucis que ses compatriotes se donnent pour rassembler les reliques du célèbre poëte, et termine ses explications par la citation de plusieurs vers d’Andromaque.
Deux minutes après, j’entre par hasard chez un mercier : à côté d’un écheveau de fil et d’une boîte d’aiguilles, je distingue un petit exemplaire de Racine. Je m’adresse à un greffier ; la domestique, surprise d’une visite aussi inattendue, m’introduit en balbutiant dans le cabinet de travail de son maître. Mes yeux s’arrêtent sur une vingtaine de livres de toutes les tailles, modernes et vieux, mais soignés, mais chéris, qui s’alignaient fièrement sur la table, à côté de dossiers et de pièces fort peu poétiques. D’une part, le gagne-pain ; de l’autre, les délassements du travail : Racine et ses commentateurs en faisaient tous les frais.
À deux pas de là, je me présente chez un notaire. Au seul nom de l’illustre compatriote, un jeune clerc, courbé sur la rédaction d’un contrat, se lève précipitamment et m’entretient avec chaleur de curieuses trouvailles faites par lui dans les vieux parchemins de l’étude. Sa physionomie se transfigurait : le futur tabellion devenait presque poëte.
II
Racine est partout à la Ferlé-Milon:dans les cœurs, sur les places publiques et dans les maisons. Sa grande ombre enveloppe toute la ville.
À la porte de la mairie (rue du Marché au blé), se tient en faction sa statue. David, le célèbre David, en est l’auteur. Il l’a évidemment composée au plus fort de l’été, par une température caniculaire, sous l’influence d’une de ces chaleurs qui mettent en haine contre les vêtements. Le pauvre Racine est aussi peu couvert qu’une baigneuse de Diaz ; il semble grelotter et souffrir, de toute façon, de sa nudité; lui, Racine ! lui, en déshabillé, portant sur le bout de l’épaule un bout de toge dont le coin descend à peine au genou ! Non, non, ce n’est pas là l’auteur discret, l’auteur si soucieux de la forme et de l’habit ! David n’a pas compris que l’admirable poète concevait toujours l’antiquité à travers le voile du christianisme.