de se considérer comme la véritable mère de sa fille adoptive.
Ainsi Madeleine grandit, entourée de soins et d’affection. Elle apprit non -seulement la lecture et récriture, mais l’histoire, la géographie, même un peu de musique et de dessin. Par exemple, il fut une science a laquelle elle ne voulut jamais mordre. Elait-ce inaptitude relative, ou punition divine ? J’inclinerais assez volontiers vers celle dernière explication, mais cependant je ne la garantis pas. Cette science, c’était le calcul. Tandis que son esprit vif et prompt s’assimilait tout avec une justesse et une rapidité prodigieuses, l’arithmétique était un livre dont elle avait de la peine à épeler les premières lignes. Elle fut longtemps avant de comprendre que deux et deux font quatre, peut-être parce que son père avait trop bien compris que deux et deux peuvent faire six. Cependant, peu à peu l’enfant devenait une belle et grande jeune fille, blonde, avec des yeux couleur du ciel, qui... mais nous reviendrons tout à l’heure sur ses yeux.
Quanta son moral, elle était née avec les meilleures dispositions du monde, et la tante Sylvie n’eut qu’à laisser faire la nature. Il était surtout une vertu que Madeleine poussait, si l’on peut dire, jusqu’à l’exagération, l’amour de l’équité et de la vérité. Une injustice ou un mensonge l’irritait, la blessait, et elle en souffrait comme d’une injure personnelle. De plus, elle semblait deviner le mensonge et l’injustice.
— Quand elle me regarde avec ses grands yeux bleus si profonds et si clairs, disait souvent la tante Sylvie, il
n’est pas de secret qu’elle ne découvre, elle lit dans mon
cœur comme dans un livre ; je voudrais mentir, que je
ne le pourrais pas.
Et, de fait, elle avait raison, la digne femme. Or, comme ce récit n’est pas un conte, mais bien une histoire vraie, hàtons-nous d’ajouter que ce magnétisme mystérieux n’a rien de surnaturel ; il est le privilège de toutes les âmes profondément et sincèrement honnêtes, qui devinent le mal, parce qu’il est antipathique à leur nature.
Plusieurs années s’écoulèrent ainsi. Madeleine venait d’atteindre sa vingt-deuxième année. Quant à maître Jacques, s’il n’avait pas absolument oublié qu’il eût une tille, il n’y pensait guère, et continuait j* vivre comme s’il n’y eût pas nensé du tout. Mais voila qu’un soir le facteur lui remit une lettre bordée de noir et timbrée d’Alcnçon. Le cœur lui battit un peu, mais il se remit immédiatement et prit connaissance de la lettre. Madeleine apprenait à son père deux grands malheurs qui venaient de la frapper. Sylvain avait été écrasé par la chute d’un mur, comme il arrachait un petit enfant à un incendie. Cette perte frappa tellement Sylvie, qu’elle se mit au lit avec une grosse fièvre et mourut elle-même après trois jours de délire. Madeleine se trouvait donc encore une fois orpheline, et elle demandait l’hospitalité à son père.
Maître Jacques froissa la lettre avec colère.
— Sylvain avait bien besoin d’aller chercher des enfants dans le feu, peusa-i-il, et Sylvie ne pouvait elle sq