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Page:Musée des Familles, vol.32.djvu/43

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musée des familles.

Carpes, soles, morues, goujons, les Chinois mangent tous les poissons crus. Ils ne font qu’une exception, et c’est en faveur de F huître, qu’ils font toujours griller. L’huître est précisément le seul poisson que nous mangions cru.

On prétend que les huîtres ne valent rien pendant les mois qui n’ont pas la lettre R.

Ce sont probablement elles qui ont fait courir ce bruit. En tout cas, c’est une erreur. Les huîtres sont toujours bonnes, pourvu qu’elles soient fraîches, mais ce préjugé si universellement accrédité a son bon côté, parce que c’est pendant les mois sans R que l’huître se reproduit. VIII. — LES MANGEURS D’HUITRES.

Henri IV fut un des plus passionnés et des plus immodérés mangeurs d’huîtres qu’on ait connus. Une anecdote, racontée par L’Étoile, le prouve suffisamment : « Sa Majesté, chassant vers Gros-Bois, se déroba de sa compagnie et revint seul à Créteil, sur l’heure de dîner. « II descendit à l’hôtellerie et demanda à l’hôtesse s’il n’y avait rien à mauger.

«Elle répondit que non, et qu’il était venu trop tard. Mais à l’instant, avisant une bourriche d’huîtres, le roi demanda pour qui était ce poisson. L’hôtesse répondit que c’était pour des procureurs qui se trouvaient en haut. « Le roi alors, qu’elle ne prenait que pour un simple gentilhomme parce qu’il était seul, la pria de leur dire qu’un bonnête gentilhomme les priait de lui céder une seule douzaine d’huîtres pour de l’argent et qu’ils l’accommodassent du bout de leur table. Ce qu’ils refusèrent tout à plat, disant que pour le regard de leurs huîtres il n’y en avait pas trop pour eux. Le roi, ayant entendu cette réponse, envoya quérir le sieur de Vitry, qui vint avec huit ou dix autres. Sa Majesté, ayant conté sa disconvenue et la vilainie de ces messieurs procureurs, lui enchargea de s’aller saisir d’eux et qu’il les menât à Gros-Bois, et qu’étant là, il ne faillît de les très-bien fouetter et étriller pour leur apprendre une autre fois à être plus courtois à l’endroit des gentilshommes.

« Ce que ledit de Vitry exécuta fort bien et promptement, nonobstant toutes les raisons, prières, supplications, remontrances et contredits de messieurs, les procureurs. »

L’Etoile ne dit pas qui mangea les huîtres, des procureurs ou du roi.

Le roi Théodore, ce pseudo-souverain, cette éphémère Majesté du chimérique royaume de Corse au dernier siècle, n’eut qu’une vraie consolation lorsqu’il fut jeté à bas d’un trône qui n’avait pas existé, ce furent les huîtres : elles l’aidèrent à gaiement avaler son chagrin.

— Souvent, raconte M. Edouard Fournier, il s’écriait avec mélancolie : Âmor, la gloria, et Vostriche son le Ire passion mie favorite. Mais de ces trois favorites, une seule avait été fidèle : la pauvre huître en écaille. Encore un illustre mangeur d’huîtres, c’était le comte de Cbarmillet. Quand il fut nommé ambassadeur en Allemagne, il reçut la visite de son ami, l’abbé Boitard.

— Vous voilà heureux, lui dit ce dernier ; vous êtes sur la route de la fortune, des honneurs et...

— Et sur le chemin de la choucroute, interrompit brusquement le célèbre gourmet. Est-ce qu’on peut être heureux dans un pays où les huîtres n’arrivent pas ? • Mais de tous les mangeurs d’buîlres, le plus connu est sans contredit Crébillon le fils.

— Il passait ses journées, raconte encore M. Fournier, au fameux cabaret du Rocher de Cancale, en tête à tête avec des bourriches éventrées.

Pas de vin, pas de citron, pas même de poivre, il aimait l’huître pour elle-même, dans le simple appareil de ses grâces et de sa saveur naturelle. De temps à autre, une gorgée de lait comme dissolvant, voila tout ce qu’il se permettait. Un matin qu’il en était déjà à sa douzième douzaine, quelqu’un lui ayant demandé combien de temps il pourrait en manger ainsi, Crébillon lui répondit avec solennité :

— Toujours.

Une autre fois, un de ses amis l’ayant abandonné à la septième ou huitième douzaine, disant qu’il craignait pour son estomac :

— Eh ! quoi ! répliqua Crébillon, serais-tu par hasard un de ces fats qui s’amusent à digérer ? On raconte que le vicomte de Mirabeau, auquel son ventre énorme valut le sobriquet de Mirabeau-Tonneau, mangea un jour trente douzaines d’huîtres. On raconte aussi qu’il faillit lui arriver la même aventure que celle du patricien Fabius Rulilius, dont parle Juvénal.

Mais il paraît que le noble vicomte arrosait ses huîtres autrement qu’avec^du lait, car il maniait le verre aussi bien que la fourchette.

IX. — l’huître et les poètes.

L’huître a été chantée par les poètes, voire même par les académiciens.

Arnault, dans une romance qui n’a pas moins de dix couplets, a célébré ses vertus et ses malheurs. Voici l’un de ces couplets :

Avec des huîtres

On est mieux qu’avec des savants,

On lit de moins quelques chapitres, Mais on ne perd jamais son temps,

Avec des huîtres.

Il va sans dire que l’honorable académicien mangeait son héros encore mieux qu’il ne le chantait. La prédilection de tous ces gens d’esprit pour les huîtres donne un peu tort au proverbe de Brillât-Savarin : Dis-moi ce que tu manges et je te dirai ce que tu es. L’huître, en effet, a une grande réputation de bêtise. Mais je voudrais bien savoir si l’escargot est plus spirituel, si la morue est plus intelligente. Si j’en crois les pêcheurs, cette réputation n’est qu’une calomnie, et c’est peut-être le bon mot de Rivarolqui l’a accréditée. Le docteur Maillard était un sot que Rivarol détestait peut-être autant que les huîtres.

L’ayant trouvé un jour seul, à table, en face d’une bourriche, il prétendit que le docteur dînait en famille. Une autrefois, il déjeanait chez le baron d’Arbelle. On mangeait des huîtres, et un savant, tout en les avalant, se mit à faire sur ce testacé un cours aussi long qu’ennuyeux.

— Messieurs, s’écria tout à coup Rivarol, savez-vous la différence qu’il y a entre une huître et un savant ? C’est que riiuitre bâille et que le savant fait bâiller. X. — MARCHÉ AUX HUITRES.

De temps immémorial, le marché aux huîtres, à Paris, se trouve dans la rue Montorgueil, une des rues les plus populeuses et les plus fréquentées de Paris. C’est là que les huîtres arrivent de tous les points de nos côles de Bretagne et de Normandie.