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Page:Musee litteraire - choix de litterature 45.djvu/327

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tistine. Relève tes yeux, et regarde-moi comme tout à l’heure, pleine de confiance et de joie. Que tu es belle ! oh ! ne sois pas triste ainsi !

Elle appuya sa tête sur l’épaule de Jean, qui la pressait contre lui. Son petit bonnet se détacha, ses cheveux ruisselèrent. Il les prit dans sa main et y appliqua ses lèvres. Bientôt Jean les sentit humides ; elle pleurait.

— Pourquoi, pourquoi pleures-tu ? lui dit-il. Et, malgré lui pourtant, un frémissement le parcourut ; l’affreuse pensée leur était commune. Combien de fois viendrait-elle ainsi glacer leurs baisers ?

— Oh ! parle-moi, dit-il, parle-moi ; tes larmes silencieuses me font mal.

— Tu veux encore de moi pour ta femme ? dit Baptistine. Il me semble que je rêvé. Tu n’as donc rien des autres hommes, toi, Jean ? Oh ! je voudrais t’adorer ! Je ne connais pas Dieu, mais il ne peut être plus grand, ni si bon que toi. Il punit, lui ; tu pardonnes ! Mais, hélas ! il y choses que ne peux pardonner !

— Tout, dit-il ; mais je t’en supplie, laissons d’odieux souvenirs. Notre vie commence ; nous sommes nés d’hier, ensemble, dans notre amour, et nous y vivrons désormais, confiants, purs, heureux. Notre amour à nous, le seul, est celui qui purifie et qui crée, celui qui du bonheur fait naître le devoir ! Au fond de ses pures. tendresses, lui seul trouve la vie ; il naît du rayonnement de deux âmes et s’accomplit dans un berceau. C’est lui, le ministre des saintes destinées, le créateur, le Dieu. Les mauvais rêves de la nuit, qu’en sait-il ? que lui importe, à lui, le jour ?

Baptistine se redressa et regarda son amant en l’écartant d’elle ; il y avait de l’égarement dans ses yeux ; sous ses cheveux épars, elle semblait plus pâle.

— Oui, dit-elle, oui, cela devrait être ainsi. Ce serait juste. C’est ainsi que tu aurais fait la vie, toi ; mais non pas, Dieu ! Oh ! lui, ça ne lui fait rien : le rayon, la boue, l’ignoble comme le beau, la haine comme l’amour, tout cela crée… mêlant ce qui se trouve… Aux brigands comme aux purs, mêmes droits. C’est une honte !… c’est pis, c’est infâme !… Le bourreau ne ferait pas tant. Ces choses là sont épouvantables. Oh ! Jean, je voudrais aller l’aimer dans une autre monde ; celui-ci me fait horreur.

Jean l’écoutait avec stupeur ; il ne l’avait jamais vue ainsi, la malédiction aux lèvres et la fureur dans les yeux, elle si douce.

— Calme-toi ! lui dit-il en la rapprochant de lui ; ne pense plus au passé, l’avenir est à nous !

— Quel avenir ? demanda Baptistine. Horrible avenir, jamais ! Te rendre malheureux, moi, élever sous tes yeux ma honte et la voir grandir ! Tu as beau être un ange, tu le haïrais comme je le hais, car c’est l’outrage qui s’est fait vivant pour me ronger les entrailles, pour me voler tout bonheur, toute espérance. Oh ! oui, je le hais ; Quand je t’écoute et me laisse enlever au ciel par toi, il est là qui s’agite et me rappelle à mon infamie. Quand tu me rapproches de ton sein, toi, la vie de mon âme, il s’élance pour te repousser, lui, l’étranger, le voleur, le fruit maudit de ce monstre, le fils de ton oncle, Jean !… Qu’en dis-tu ? Est-ce là le bonheur. que tu attends ? Ah ! tu rêvais un berceau ? Oui, il y en a un, et c’est un serpent qui vient s’y coucher. Ah ! la belle union ! le bel amour, n’est-ce pas ?… Ah ! voilà que tu recules. À la bonne heure !… Tu es homme enfin ! Va, laisse-moi, pars ! C’était impossible ! Merci de ta pitié ! Tu ne peux me donner plus.

Jean sous l’horrible révélation, s’était en effet reculé, il se sentait vaincu. Obligé de lutter contre d’importunes images, ébranlé déjà dans son amour, ce coup fut mortel. Ce n’était donc plus seulement le passé qui lui était enlevé, mais l’avenir, tout enfin ! Un coup d’œil qu’il jeta sur Baptistine lui rendit visible le secret qu’elle venait de révéler, et sous ce même coup d’œil, à ses yeux, l’amante disparut. Une innocente compassion, — il y en avait déjà trop dans cet amour, — mêlée de colère et de la douleur de cette nouvelle chute, remplit l’âme de Jean, mais ce fut tout. Ne trouvant plus d’élan, il resta muet ; le regard qu’ils échangèrent fut sinistre. Un froid leur glaça le cœur.

Ce fut Baptistine qui la première eut le courage de conclure, tandis que Jean, sans voix et sans force, gisait écrasé sous les ruines de son amour ; elle, calme à force d’exaltation, l’œil tout enfoncé, brillant d’un feu sombre, dominait la situation et semblait douée pour l’apprécier d’un sens nouveau supérieur.

— Va, dit-elle, je ne t’en veux pas. Tu as fait tout ce que la force humaine peut faire. Je t’aime trop pour ne pas rompre moi-même notre lien, car je me mépriserais de t’imposer ma misère. Va, nous ne pouvons plus que nous faire souffrir.

— Hélas, répondit-il, tu me vois accablé. Je ne me sens plus moi-même, et ne me retrouve plus. Je sens seulement que plus tu es malheureuse, moins je puis t’abandonner.

— Ne comprends-tu pas, répliqua-t-elle, avec une une expression terrible, que ta pitié ne peut me soulager ? Non, Jean, ajouta-t-elle avec plus de douceur : nous ne pouvons plus… Pour toi, pour moi, va, pars tout de suite ; nous nous reverrons plus tard.

— Crois du moins que jamais le besoin de te revoir et de te savoir moins malheureuse ne s’éteindra en moi ; promets-moi de m’appeler quand tu auras besoin de mon dévouement… Me la promets-tu ?… Puisque tu le veux, je pars ; mais reviendrai.

— Oui, dit-elle amèrement, oui, sans doute. Adieu ! Jean !

— Au revoir, dit-il et il lui baisa la main ; puis revenant.

— Baptistine, est-ce bien vrai que tu désires que je parte ? et ne puis-je t’être utile, moi, ton seul ami ?

— Non, répondit-elle.

— Et tu ne médites aucun acte de désespoir, dis ? Tu me le jures ?

Elle secoua la tête.

— Eh bien donc, au revoir !

Et il partit, se guidant à peine, la vue trouble, le cœur vide, la tête étourdie, et, comme il l’avait dit, ne se reconnaissait plus. La foi, l’enthousiasme, qui étaient sa nature même, semblaient éteints en lui ; le jour lui semblait faux, la vie morte. Il ne s’indignait pas, il ne pleurait pas ; il n’avait jamais tant souffert.

Mais elle, elle qui avait pressé le départ de Jean, quand elle se vit seule… toute force aussitôt lui manqua : elle fléchit, se laissa tomber sur le sol humide, et, se sentant maintenant abandonnée de la terre entière, l’amertume la remplit, l’inonda, la couvrit de ses flots comme un océan. Alors elle oublia qu’elle-même avait compris, déclaré que leur union n’était pas possible, qu’elle-même avait eu pitié de Jean et qu’elle l’adorait ; et elle l’accusa. Il n’était donc pas plus juste et plus fort qu’un autre, lui qui d’un hasard, — comme les autres, — faisait un crime ? Ce fait de la conception n’existait pas, il l’aimait encore et ce malheur de plus, il la rejetait ; il ne l’aimait plus déjà, lui qui tout à l’heure… Oh ! n avoir plus que sa pitié ! Avoir pu être aimée de lui et ne l’être plus ! Avoir touché la porte de ce paradis et s’en voir à jamais chassée !… Et dans son âme se déchaîna cet orage de la douleur humaine qui, non content d’ébranler de ses secousses toutes choses de ce monde, va chercher ses témoins et porter ses cris dans l’immensité de l’inconnu.

Des heures s’écoulèrent ; brisée, elle avait fini par s’affaisser dans une morne immobilité, quant un soubresaut de l’enfant lui fit jeter un cri de rage. Se relevant brusquement, elle quitta le bois et courut dans la campagne, éplorée, échevelée, folle. Tout à coup d’âpres douleurs la saisirent. Elle s’arrêta, se tordit les mains, se roula par terre et jeta des cris. À