Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/108

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Alors que vous rêvez, il faut, moi, que je pense,
Mécène, et que j’agisse alors que vous pensez.
Savez-vous bien ma vie ?

Mécène.

Savez-vous bien ma vie ?Oui, seigneur, je la sais.
Je sais que votre main, en volonté féconde,
Tient un arc dont la flèche a traversé le monde ;
Et déjà du passé l’éclatant souvenir
Vous fait incessamment regarder l’avenir.
Mais pourquoi l’empereur, m’accusant de faiblesse,
Croit-il mon pauvre toit hanté par la paresse ?
Lorsqu’Horace et Virgile y viennent le matin
Respirer dans mes bois la verveine et le thym,
J’écoute avec transport ces lèvres inspirées
Verser en souriant les paroles dorées.
Mes abeilles gaiement voltigent devant nous ;
Le ciel en est plus pur et l’air en est plus doux.
Depuis quand l’action nuit-elle à la pensée ?
Quand Tyrtée avait pris sa lyre et son épée,
Devant toute une armée il marchait autrefois,
Il chantait, la victoire accourait à sa voix.
Alexandre, vainqueur, pourtant toujours en guerre,
Gardait comme un trésor les vers du vieil Homère,
Et relisait sans cesse, à toute heure, en tous lieux,
Ce poème immortel, dicté par tous les dieux.
Le grand Jules, bravant les hasards du naufrage,
Avec son manuscrit se jetait à la nage,
Et, défendant aux flots d’y toucher en chemin,