Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/18

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appartient à cette génération ardente et passionnée dont il a observé et décrit les souffrances morales. Sa naissance fut fêtée, dans sa famille, avec moins de bruit, mais avec autant de joie que celle du Roi de Rome, qui vint au monde peu de temps après lui. Les premiers canons qu’il put entendre étaient ceux des réjouissances publiques ; mais, bientôt après, on ne parla plus autour de lui que des désastres de nos armées et des malheurs de la France. La précocité de son intelligence et les larmes de sa mère lui firent comprendre la grandeur de ces événements, et sa sensibilité naturelle, développée par les premières impressions de son enfance, devint excessive.

À l’âge de trois ans, le futur auteur des Nuits était d’une beauté qui attirait partout l’attention. Un peintre flamand nommé Van Brée demanda instamment à faire son portrait. Le bambin est représenté assis au bord d’un ruisseau, les pieds dans l’eau, les mains appuyées sur sa poitrine, retenant sa petite chemise qui va tomber sur ses genoux. À côté de lui est une vieille épée qu’il voulut avoir à portée de son bras pour se défendre contre les grenouilles. Girodet, qui arriva par hasard un matin dans l’atelier du peintre, trouva le portrait fort joli, et admira beaucoup le modèle[1].

Tant qu’il resta sous l’aile maternelle, — et il y demeura très longtemps, — Alfred de Musset eut pour sa mère une soumission extrême. Il craignait par dessus tout de lui déplaire ou de l’affliger. Notre père, qui était la bonté même, très occupé par ses emplois et par ses travaux littéraires, laissait à sa femme, dont il appréciait le rare mérite, une

  1. M. Van Brée avait du talent. Cette précieuse peinture appartient aujourd’hui a Madame Lardin, sœur d’Alfred de Musset.