Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/19

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autorité absolue sur les enfants. Les courts instants qu’il pouvait nous donner étaient des récréations, pour lui comme pour nous, et, s’il eût été roi de France, les envoyés des grandes puissances auraient pu le surprendre dans l’attitude où Henri IV fut trouvé, portant ses enfants sur son dos. Cet excellent père préférait la persuasion aux réprimandes. À l’appui de ses leçons de morale, il nous racontait des historiettes amusantes. Il se plaisait à raisonner avec nous, et nous invitait même à lui faire des objections, puis il se moquait de nous quand nos raisonnements ne valaient rien, ce qui arrivait souvent. Notre mère, au contraire, usait de son autorité et se faisait obéir d’un mot ou d’un simple geste. Quand nous avions commis quelque faute, ses reproches étaient d’une éloquence qui nous inspirait plus de terreur que les punitions. Du reste, Alfred était bien l’enfant le plus aimable et le plus sincère du monde, incapable, non seulement de faire un mensonge, mais même une réponse évasive, toujours pressé d’ouvrir son cœur, confiant jusqu’à la crédulité, racontant sa joie ou ses peines avec des mouvements oratoires et des expressions pittoresques au-dessus de son âge, et témoignant ses sympathies avec des effusions charmantes.

On lui faisait apprendre des fables, comme à tous les enfants ; il les récitait sans la moindre timidité, après quoi il courait embrasser tous les assistants et retournait à ses jeux. Il eût aussi bien récité devant cent personnes, pourvu que sa mère l’eût encouragé du regard. Au collège, il perdit cette assurance par excès d’émulation et par crainte de ne pas réussir ; mais il ne fallut pas moins que les dures leçons de l’expérience pour modérer sa disposition naturelle à la