Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/23

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poète avait reçue du ciel, car il ne se laissa pas enivrer par ce grand succès. Au point où nous en sommes de ses débuts, on demandait le Dragon jaune et bleu et les Manchettes vertes comme on demande un morceau de musique qu’on ne se lasse pas d’entendre. Cependant, à ces premières lectures se trouvait quelquefois un jeune homme d’une figure douce et grave, nommé George Farcy, un peu rebelle aux exagérations de la nouvelle école, et qui remarqua dans ces poésies d’autres beautés que celles des effets de couleur[1]. M. Prosper Mérimée fit aussi à l’auteur de Don Paez des compliments plus calmes, mais non moins sincères que ceux de la phalange militante. Le bon Nodier, qui se prit d’une tendresse vraiment paternelle pour Alfred de Musset, démêla tout ce que ce jeune écolier déguisait de raison et de génie sous ses airs évaporés. Il comprit que l’auteur de l’Andalouse ne faisait encore qu’essayer ses ailes, et il l’attendait, disait-il, au jour où l’enfant deviendrait homme, c’est-à-dire poète par le cœur. Nodier voyait très clair : Alfred de Musset ne s’est séparé de l’école romantique qu’en 1833 ; mais dès l’année 1829, il murmurait déjà contre les fantaisies qu’on y prétendait ériger en doctrines, et particulièrement contre l’abus des rimes riches. Souvent, en revenant de quelque séance de lecture, il disait : « Je ne comprends pas que, pour faire un vers, on s’amuse à commencer par la fin, en remontant le courant, tant bien que mal, de la dernière syllabe à la première, autrement dit de la rime à la raison, au lieu de descendre naturellement de la pensée à la rime. Ce sont là des jeux d’esprit avec les-

  1. George Farcy fut tué sur la place du Carrousel, le 29 juillet 1830, par un coup de feu tiré des grilles des Tuileries.