Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/46

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la prose, — détermination qu’il croyait bonne et sage, — Alfred eut quelques embarras d’argent. C’était sa faute, si l’on veut ; il est même hors de doute que l’auteur de Fantasio ne sut jamais gouverner ses finances avec la régularité d’un caissier de la Banque ; mais ce jeune homme, qui n’avait eu besoin que de regarder en lui-même pour créer tous ces types charmants d’enfants prodigues qui répandent tant de gaieté dans ses comédies et ses Nouvelles, était en même temps le modèle de ce loyal et tendre Cœlio qui se plaint à son ami Octave qu’une dette pour lui est un remords. La dette une fois contractée, le moyen le plus simple de s’en défaire, c’était d’écrire un bon nombre de pages. Or, il ne le voulait pas, quoi qu’il pût lui en arriver, parce qu’il ne croyait pas le devoir faire dans l’intérêt de sa réputation. Rien au monde n’aurait pu le déterminer à suivre l’exemple de quelques écrivains de ce temps-là, qu’on voyait surmener leur imagination et s’épuiser dans des travaux excessifs. Ce qu’il a souffert pendant cette crise terrible, lui seul pouvait l’exprimer. Un jour, il conçut la pensée de chercher un remède à sa souffrance dans sa souffrance même, en faisant le récit des tortures d’un poète condamné par la nécessité à un travail qu’il méprise. Il écrivit sur ce sujet quarante pages d’un pathétique déchirant, et qui surpassaient en éloquence la Confession d’un enfant du siècle elle-même. Deux personnes seulement ont été admises à en écouter la lecture, son frère et son ami Alfred Tattet, qui en furent profondément troublés. Je ne vois dans aucune littérature un équivalent de cette œuvre étrange. Dans un moment où il se croyait bien résolu à l’achever et à la livrer aux imprimeurs, Alfred de Musset