Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/54

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la mangeaille[1], sans autre goût que celui du bric-à-brac. Il interrogeait les monuments, les productions des arts et de la littérature, pour y découvrir quelque signe d’un style et d’un caractère particuliers à notre époque, et il ne voyait partout que faiblesse, imitation, indécision et tâtonnements. Lorsque le pastiche gothique de Sainte-Clotilde s’éleva en face du pastiche athénien de la Madeleine, il se demanda ce que nos descendants penseraient de nous, et le rouge lui montait au visage. On parlait alors plus modestement qu’aujourd’hui des progrès de notre siècle. Il ne les niait point et se forçait même un peu pour les admirer ; mais les conquêtes de la science sur la matière ne le consolaient pas des pertes de l’idéal. Il cherchait autour de lui quelque éclair de génie ; et il n’en trouvait qu’aux représentations de Rachel ; aussi n’en manquait-il pas une. Plus tard, quand madame Ristori vint en France, il la vit trente fois de suite dans le rôle de Mirra. La musique italienne était encore une de ses consolations. « Sans Rossini et Rachel, disait-il souvent, ce ne serait pas la peine de vivre. » Il ne songeait pas à se ranger lui-même parmi les dépositaires de la poésie et du génie, et quand nous lui faisions remarquer qu’il s’oubliait : « Oui, répondait-il, je sais bien que je marquerai mon sillage dans cet ennuyeux siècle ; mais on ne s’en apercevra qu’après ma mort. »

Aux autres sujets de chagrin qu’il avait déjà vint se joindre le départ d’Alfred Tattet, qui s’éloigna de Paris pour toujours. La calomnie lui apporta aussi son contingent ; elle ne manqua pas de feindre comme si elle prenait le silence

  1. Voir les vers sur la Paresse.