Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/157

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Scoronconcolo.

Oui, monseigneur.

Il sort.
Lorenzo, seul.

De quel tigre a rêvé ma mère enceinte de moi ? Quand je pense que j’ai aimé les fleurs, les prairies et les sonnets de Pétrarque, le spectre de ma jeunesse se lève devant moi en frissonnant. Ô Dieu ! pourquoi ce seul mot : « À ce soir, » fait-il pénétrer jusque dans mes os cette joie brûlante comme un fer rouge ? De quelles entrailles fauves, de quels velus embrassements suis-je donc sorti ? Que m’avait fait cet homme ? Quand je pose ma main là, et que je réfléchis, — qui donc m’entendra dire demain : « Je l’ai tué », sans me répondre : « Pourquoi l’as-tu tué ? » Cela est étrange. Il a fait du mal aux autres, mais il m’a fait du bien, du moins à sa manière. Si j’étais resté tranquille au fond de mes solitudes de Cafaggiuolo, il ne serait pas venu m’y chercher, et moi je suis venu le chercher à Florence. Pourquoi cela ? Le spectre de mon père me conduisait-il, comme Oreste, vers un nouvel Égiste ? M’avait-il offensé alors ? Cela est étrange, et cependant pour cette action j’ai tout quitté ; la seule pensée de ce meurtre a fait tomber en poussière les rêves de ma vie ; je n’ai plus été qu’une ruine, dès que ce meurtre, comme un corbeau sinistre, s’est posé sur ma route et m’a appelé à lui. Que veut dire cela ? Tout à l’heure, en passant sur la place, j’ai entendu deux hommes