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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies III.djvu/154

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La maréchale.

Je me vois laide.Au vrai, l’on ne vous croirait pas.

La duchesse.

Et lui, madame, hélas ! c’est bien tout le contraire.
Le ciel a pris plaisir à le former pour plaire.
De son luxe élégant si l’œil est ébloui,
On croit voir sa parure, et l’on ne voit que lui.
Et cet esprit si fin, tant de délicatesse,
Cette grâce qui semble ignorer sa noblesse !…
Est-ce que j’y vois mal, madame, et, sur ce point,
Me direz-vous encor qu’on ne me croirait point ?

La maréchale.

Je puis malaisément vous répondre, ma chère.
Si vous êtes sa femme…

La duchesse.

Si vous êtes sa femme…Eh bien ?

La maréchale.

Si vous êtes sa femme…Eh bien ? Je suis sa mère.

La duchesse.

Si nous n’étions que deux à le trouver charmant !
Mais tout le monde l’aime, et c’est là mon tourment.
Puis-je, le croyez-vous, garder un cœur tranquille,
À le voir comme il est, par la cour et la ville,
Au milieu d’un fracas de jeunes étourdis,
Au jeu comme à cheval passant les plus hardis,
Poursuivre, en se jouant, de regards infidèles,
Ces heureuses beautés qui savent être belles ?
Ah ! c’est là que je sens, à mon mortel ennui,