Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/100

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effroyable, et tout Paris le savait. Je compris d’abord assez mal ce qu’il me disait, n’écoutant pas attentivement ; mais, lorsque, après le lui avoir fait répéter jusqu’à trois fois dans le plus grand détail, je me fus mis exactement au fait de cette horrible histoire, je demeurai décontenancé et si stupéfait que je ne pouvais répondre. Mon premier mouvement fut d’en rire, car je voyais clairement que je n’avais aimé que la dernière des femmes ; mais il n’en était pas moins vrai que je l’avais aimée, et, pour mieux dire, que je l’aimais encore. — Est-ce possible ? Voilà tout ce que je pus trouver.

Les amis de Desgenais confirmèrent alors tout ce qu’il avait dit. C’était dans sa propre maison, que ma maîtresse, surprise entre ses deux amants, avait essuyé de leur part une scène que tout le monde savait par cœur. Elle était déshonorée, obligée de quitter Paris, si elle ne voulait s’exposer au plus cruel scandale.

Il m’était aisé de voir que, dans toutes ces plaisanteries, il y avait une bonne part de ridicule répandu à pleines mains sur mon duel au sujet de cette même femme, sur mon invincible passion pour elle, enfin sur toute ma conduite à son égard. Dire qu’elle méritait les noms les plus odieux, que ce n’était, après tout, qu’une misérable qui en avait fait peut-être cent fois pis que ce qu’on en savait, c’était me faire sentir amèrement que je n’étais qu’une dupe comme tant d’autres.

Tout cela ne me plaisait pas ; les jeunes gens, qui s’en aperçurent, y mirent de la discrétion ; mais Des-