Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/101

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genais avait ses projets ; il avait pris à tâche de me guérir de mon amour, et il le traitait impitoyablement comme une maladie. Une longue amitié, fondée sur des services mutuels, lui donnait des droits, et, comme son motif lui paraissait louable, il n’hésitait pas à les faire valoir.

Non seulement donc il ne m’épargnait pas, mais, du moment qu’il vit mon trouble et ma honte, il fit tout au monde pour me pousser sur cette route aussi loin qu’il le put. Mon impatience devint bientôt trop visible pour lui permettre de continuer ; il s’arrêta alors et prit le parti du silence, qui m’irrita encore plus.

À mon tour, je fis des questions ; j’allais et venais par la chambre. Il m’avait été insupportable d’entendre raconter cette histoire ; j’aurais voulu qu’on me la recommençât. Je m’efforçais de prendre tantôt un air riant, tantôt un visage tranquille ; mais ce fut en vain. Desgenais était devenu tout à coup muet, après s’être montré le plus détestable bavard. Tandis que je marchais à grands pas, il me regardait avec indifférence, et me laissait me démener dans la chambre comme un renard dans une ménagerie.

Je ne puis dire ce que j’éprouvais ; une femme qui pendant si longtemps avait été l’idole de mon cœur, et qui, depuis que je l’avais perdue, me causait de si vives souffrances, la seule que j’eusse aimée, celle que je voulais pleurer jusqu’à la mort, devenue tout à coup une éhontée sans vergogne, le sujet des quolibets des