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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/154

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et de faire tomber les bagues de ses doigts. Ne lui nomme pas celui qui t’a gagné ce soir ; il se pourrait qu’elle le rencontrât demain et qu’elle fît les yeux doux à ta ruine. Voilà ce que c’est que la faiblesse humaine ; es-tu de force à avoir celle-là ? Es-tu un homme ? prends garde au dégoût ; c’est encore un mal incurable ; un mort vaut mieux qu’un vivant dégoûté de vivre. As-tu un cœur ? prends garde à l’amour ; c’est pis qu’un mal pour un débauché, c’est un ridicule ; les débauchés paient leurs maîtresses, et la femme qui se vend n’a droit de mépris que sur un seul homme au monde, celui qui l’aime. As-tu des passions ? prends garde à ton visage ; c’est une honte pour un soldat de jeter son armure, et pour un débauché de paraître tenir à quoi que ce soit ; sa gloire consiste à ne toucher à rien qu’avec des mains de marbre frottées d’huile, sur lesquelles tout doit glisser. As-tu une tête chaude ? si tu veux vivre, apprends à tuer ; le vin est parfois querelleur. As-tu une conscience ? prends garde à ton sommeil ; un débauché qui se repent trop tard est comme un vaisseau qui prend l’eau ; il ne peut ni revenir à terre ni continuer sa route ; les vents ont beau le pousser, l’Océan l’attire ; il tourne sur lui-même et disparaît. Si tu as un corps, prends garde à la souffrance ; si tu as une âme, prends garde au désespoir. Ô malheureux ! prends garde aux hommes ; tant que tu marcheras sur la route où tu es, il te semblera voir une plaine immense où se déploie en guirlande fleurie une farandole de danseurs