Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/181

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Dès que j’eus passé une demi-heure dans sa chambre, je ne pus m’empêcher de lui dire tout ce que j’avais dans le cœur. Je pensais à ma vie passée, à mes chagrins, à mes ennuis ; j’allais et venais, me penchant sur les fleurs, respirant l’air, regardant le soleil. Je la priai de chanter ; elle le fit de bonne grâce. Pendant ce temps-là, j’étais appuyé à la fenêtre et je regardais sautiller ses oiseaux. Il me revint en tête un mot de Montaigne : « Je n’aime ni n’estime la tristesse, quoique le monde ait entrepris, comme à prix fait, de l’honorer de faveur particulière. Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience. Sot et vilain ornement. »

— Quel bonheur ! m’écriai-je malgré moi ; quel repos ! quelle joie ! quel oubli !

La bonne tante leva la tête et me regarda d’un air étonné ; madame Pierson s’arrêta court. Je devins rouge comme le feu, sentant ma folie, et allai m’asseoir sans rien dire.

Nous descendîmes au jardin. Le chevreau blanc que j’y avais vu la veille y était couché sur l’herbe ; il vint à elle dès qu’il l’aperçut, et nous suivit familièrement.

Au premier tour d’allée, un grand jeune homme à figure pâle, enveloppé d’une espèce de soutane noire, parut tout à coup à la grille. Il entra sans sonner et vint saluer madame Pierson ; il me sembla que sa physionomie, que je trouvais déjà de mauvais augure, s’assombrit quelque peu en me voyant. C’était un prêtre