Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/222

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dessus les chers reproches : que je venais tard et que j’étais coquet ; que je m’étais trop parfumé au bain, ou pas assez, ou pas à sa guise ; qu’elle était restée en pantoufles pour que je visse son pied nu, et qu’il était aussi blanc que sa main ; mais que du reste elle n’était guère belle ; qu’elle voudrait l’être cent fois plus qu’elle l’avait été à quinze ans. Et elle allait, et elle venait, toute folle d’amour, toute vermeille de joie, et elle ne savait qu’imaginer, quoi faire, quoi dire, pour se donner et se donner encore, elle, corps et âme, et tout ce qu’elle avait.

J’étais couché sur le sofa ; je sentais tomber et se détacher de moi une mauvaise heure de ma vie passée, à chaque mot qu’elle disait. Je regardais l’astre de l’amour se lever sur mon champ, et il me semblait que j’étais comme un arbre plein de sève, qui secoue au vent ses feuilles sèches pour se revêtir d’une verdure nouvelle.

Elle se mit au piano et me dit qu’elle allait me jouer un air de Stradella. J’aime par-dessus tout la musique sacrée ; et ce morceau, qu’elle m’avait déjà chanté, m’avait paru très beau. — Eh bien ! dit-elle quand elle eut fini, vous vous y êtes bien trompé ; l’air est de moi, et je vous en ai fait accroire.

— Il est de vous ?

— Oui, et je vous ai conté qu’il était de Stradella pour voir ce que vous en diriez. Je ne joue jamais ma musique, quand il m’arrive d’en composer ; mais j’ai