Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/25

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donnait un quart d’heure à Dieu pour le foudroyer, il est certain que c’était un quart d’heure de colère et de jouissance atroce qu’il se procurait. C’était le paroxysme du désespoir, un appel sans nom à toutes les puissances célestes ; c’était une pauvre misérable créature se tordant sous le pied qui l’écrase ; c’était un grand cri de douleur. Et qui sait ? aux yeux de celui qui voit tout, c’était peut-être une prière.

Ainsi les jeunes gens trouvaient un emploi de la force inactive dans l’affectation du désespoir. Se railler de la gloire, de la religion, de l’amour, de tout au monde, est une grande consolation pour ceux qui ne savent que faire ; ils se moquent par là d’eux-mêmes et se donnent raison tout en se faisant la leçon. Et puis, il est doux de se croire malheureux, lorsqu’on n’est que vide et ennuyé. La débauche, en outre, première conclusion des principes de mort, est une terrible meule de pressoir lorsqu’il s’agit de s’énerver.

En sorte que les riches se disaient : Il n’y a de vrai que la richesse ; tout le reste est un rêve ; jouissons et mourons. Ceux d’une fortune médiocre se disaient : Il n’y a de vrai que l’oubli ; tout le reste est un rêve ; oublions et mourons. Et les pauvres disaient : Il n’y a de vrai que le malheur ; tout le reste est un rêve ; blasphémons et mourons.

Ceci est-il trop noir ? est-ce exagéré ? Qu’en pensez-vous ? Suis-je un misanthrope ? Qu’on me permette une réflexion.