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CHAPITRE III


Notre querelle avait été, pour ainsi dire, moins triste que notre réconciliation ; elle fut accompagnée, de la part de Brigitte, d’un mystère qui m’effraya d’abord, puis qui me laissa dans l’âme une inquiétude perpétuelle.

Plus j’allais, plus se développaient en moi, malgré tous mes efforts, les deux éléments de malheur que le passé m’avait légués : tantôt une jalousie furieuse, pleine de reproches et d’injures, tantôt une gaieté cruelle, une légèreté affectée qui outrageait en plaisantant ce que j’avais moi-même de plus cher. Ainsi me poursuivaient sans relâche des souvenirs inexorables ; ainsi Brigitte, se voyant traitée alternativement ou comme une maîtresse infidèle ou comme une fille entretenue, tombait peu à peu dans une tristesse qui dévastait notre vie entière ; et le pire de tout, c’est que cette tristesse même, quoique j’en susse le motif et que je me sentisse coupable, ne m’en était pas moins à charge. J’étais jeune, et j’aimais le plaisir ; ce tête-à-tête de tous les jours avec une femme plus âgée que moi, qui souffrait et languissait, ce visage de plus en plus sérieux