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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/257

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s’appuyait sur mon bras : alors plus de chanson ; c’étaient des confidences, de tendres propos à voix basse, quoique nous fussions tous deux seuls à plus de deux lieues à la ronde. Je ne me souviens pas d’un seul mot, échangé durant le retour, qui ne fût pas d’amour ou d’amitié.

Un soir, nous avions pris, pour gagner la roche, un chemin de notre invention, c’est-à-dire que nous avions été à travers les bois sans suivre de chemin. Brigitte y allait de si bon cœur, et sa petite casquette de velours sur ses grands cheveux blonds lui donnait si bien l’air d’un gamin résolu, que j’oubliais qu’elle était femme lorsqu’il y avait quelque pas difficile à franchir. Plus d’une fois, elle avait été obligée de me rappeler pour l’aider à grimper aux rochers, tandis que, sans songer à elle, je m’étais déjà élancé plus haut. Je ne puis dire l’effet que produisait alors, dans cette nuit claire et magnifique, au milieu des forêts, cette voix de femme à demi joyeuse et à demi plaintive sortant de ce petit corps d’écolier, accroché aux genêts et aux troncs d’arbres et ne pouvant plus avancer. Je la prenais dans mes bras. — Allons, madame, lui disais-je en riant, vous êtes un joli petit montagnard brave et alerte ; mais vous écorchez vos petites mains blanches, et, malgré vos gros souliers ferrés, votre bâton et votre air martial, je vois qu’il faut vous emporter.

Nous arrivâmes tout essoufflés ; j’avais autour du corps une courroie, et je portais de quoi boire dans une bouteille d’osier ; lorsque nous fûmes sur la roche, ma