Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout radieux d’amour, se levait alors vers le ciel, est-ce bien vrai que je suis à toi ? Oui, loin de ce monde odieux qui vous avait vieilli avant l’âge, oui, enfant, vous allez aimer. Je vous aurai tel que vous êtes, et, quel que soit le coin de la terre où nous allons trouver la vie, vous m’y pourrez oublier sans remords le jour où vous n’aimerez plus. Ma mission sera remplie, et il me restera toujours là-haut un Dieu pour l’en remercier.

De quel poignant et affreux souvenir me remplissent encore ces paroles ! Enfin il était décidé que nous irions d’abord à Genève, et que nous choisirions au pied des Alpes un lieu tranquille pour le printemps. Déjà Brigitte parlait du beau lac ; déjà j’aspirais dans mon cœur le souffle du vent qui l’agite, et la vivace odeur de la verte vallée ; déjà Lausanne, Vevey, l’Oberland, et, par delà les sommets du mont Rose, la plaine immense de la Lombardie ; déjà l’oubli, le repos, la fuite, tous les esprits des solitudes heureuses nous conviaient et nous invitaient ; déjà, quand le soir, les mains jointes, nous nous regardions l’un l’autre en silence, nous sentions s’élever en nous ce sentiment plein d’une grandeur étrange qui s’empare du cœur à la veille des longs voyages, vertige secret et inexplicable qui tient à la fois des terreurs de l’exil et des espérances du pèlerinage. Ô Dieu ! c’est ta voix elle-même qui appelle alors, et qui avertit l’homme qu’il va venir à toi. N’y a-t-il pas dans la pensée humaine des ailes qui frémissent et des cordes sonores qui se tendent ? Que vous dirai-je ? n’y a-t-il pas un