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Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/291

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quelle petite ville, vous avez aimé une madame Pierson ; ce qui s’est passé entre vous et elle, je ne le veux seulement pas croire. N’iriez-vous pas me faire confidence de vos amours avec une femme que vous avez quittée pour moi ? Je vous dis tout bas à mon tour qu’il n’y a pas bien longtemps encore, j’ai aimé un mauvais sujet qui m’a rendue assez malheureuse ; vous me plaignez, vous m’imposez silence, et il est convenu entre nous qu’il n’en sera jamais question.

Lorsque Brigitte parlait ainsi, ce que j’éprouvais ressemblait à de l’avarice ; je la serrais avec des bras tremblants. — Ô Dieu ! m’écriais-je, je ne sais si c’est de joie ou de crainte que je frissonne. Je vais t’emporter, mon trésor. Devant cet horizon immense, tu es à moi ! nous allons partir. Meure ma jeunesse, meurent les souvenirs, meurent les soucis et les regrets ! Ô ma bonne et brave maîtresse ! tu as fait un homme d’un enfant ! Si je te perdais maintenant, jamais je ne pourrais aimer. Peut-être avant de te connaître une autre femme aurait pu me guérir ; mais maintenant toi seule au monde tu peux me tuer ou me sauver ; car je porte au cœur la blessure de tout le mal que je t’ai fait. J’ai été ingrat, aveugle et cruel. Dieu soit béni ! tu m’aimes encore. Si jamais tu retournes au village où je t’ai vue sous les tilleuls, regarde cette maison déserte : il doit y avoir là un fantôme, car l’homme qui en sort avec toi n’est pas celui qui y était entré.

— Est-ce bien vrai ? disait Brigitte, et son beau front,