Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/295

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silence obstiné ? Après tout ce qu’avait fait Brigitte, dans un moment où nos rêves les plus chers paraissaient près de se réaliser, de quelle nature pouvait être un secret qui détruisait notre bonheur et qu’elle refusait de me confier ? Quoi ! c’est de moi qu’elle se cache ? Que ses chagrins, que ses affaires, la crainte même de l’avenir, je ne sais quel motif de tristesse, d’incertitude ou de colère la retiennent ici quelque temps ou la fassent renoncer pour toujours à ce voyage si désiré, par quelle raison ne pas s’ouvrir à moi ? Dans l’état où se trouvait mon cœur, je ne pouvais cependant supposer qu’il y eût là rien de blâmable. L’apparence seule d’un soupçon me révoltait et me faisait horreur. Comment, d’autre part, croire à de l’inconstance ou à du caprice seulement dans une femme telle que je la connaissais ? Je me perdais dans un abîme, et ne voyais pas même la plus faible lueur, le moindre point qui pût me fixer.

Il y avait en face de moi, à la galerie, un jeune homme dont les traits ne m’étaient pas inconnus. Comme il arrive souvent quand on a l’esprit préoccupé, je le regardais sans m’en rendre compte, et je cherchais à mettre son nom sur son visage. Tout à coup, je le reconnus : c’était lui qui, comme je l’ai dit plus haut, avait apporté à Brigitte des lettres de N***. Je me levai précipitamment pour aller lui parler, sans songer à ce que je faisais. Il occupait une place à laquelle je ne pouvais arriver sans déranger un grand nombre de spectateurs, et je fus contraint d’attendre l’entr’acte.