Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/320

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reculent ni ne chancellent, ne meurent ni n’oublient ; quand leur tour vient de toucher au malheur, autrement dit à la vérité, ils s’en approchent d’un pas ferme, étendent la main, et, chose horrible ! se prennent d’amour pour le noyé livide qu’ils ont senti au fond des eaux. Ils le saisissent, le palpent, l’étreignent ; les voilà ivres du désir de connaître ; ils ne regardent plus les choses que pour voir à travers ; ils ne font plus que douter et tenter ; ils fouillent le monde comme des espions de Dieu ; leurs pensées s’aiguisent en flèches, et il leur naît un lynx dans les entrailles.

Les débauchés, plus que tous les autres, sont exposés à cette fureur, et la raison en est toute simple. En comparant la vie ordinaire à une surface plane et transparente, les débauchés, dans les courants rapides, à tout moment touchent le fond. Au sortir d’un bal, par exemple, ils s’en vont dans un mauvais lieu. Après avoir serré dans la valse la main pudique d’une vierge, et peut-être l’avoir fait trembler, ils partent, ils courent, jettent leur manteau et s’attablent en se frottant les mains. La dernière phrase qu’ils viennent d’adresser à une belle et honnête femme est encore sur leurs lèvres ; ils la répètent en éclatant de rire. Que dis-je ? ne soulèvent-ils pas pour quelques pièces d’argent ce vêtement qui fait la chasteté, la robe, ce voile plein de mystère, qui semble respecter lui-même l’être qu’il embellit, et l’entoure sans le toucher ? Quelle idée doivent-ils donc se faire du monde ? Ils s’y trouvent à chaque instant